PEDOT:PSS, roi des polymères conducteurs

Une équipe internationale de chercheurs a publié au printemps dernier une contribution majeure à la compréhension des polymères conducteurs. Parmi eux, Georges Malliaras et son équipe de Mines Saint-Étienne. Ces travaux parus dans Nature Communications ouvrent la voie pour de nouvelles applications de ces plastiques d’un nouveau genre, en particulier dans le domaine de la bioélectronique.

 

Parmi les matériaux suivants, cherchez l’intrus qui n’est pas un conducteur électrique : le fer, le cuivre, le plastique, le zinc. Le plastique dites-vous ? Perdu. Rassurez-vous, l’énigme était piégeuse, car derrière cette matière se cache en réalité une diversité de polymères différents, comme le polyéthylène ou le PVC. Si ces deux exemples sont bien des isolants, ce n’est pas le cas de PEDOT:PSS, un alliage plastique constitué de deux polymères : PEDOT et PSS.

Les polymères conducteurs intéressent les communautés scientifique et industrielle car ils présentent des applications prometteuses. Georges Malliaras, chercheur à Mines Saint-Étienne, constate l’évolution de leur utilisation depuis leur découverte dans les années 1970. « Au début il s’agissait de remplacer les câbles électriques métalliques pour alléger les structures des avions, raconte-t-il. Aujourd’hui, ils permettent aussi de créer des supports conducteurs transparents, pour des écrans électrochromiques par exemple, qui changent de teinte en fonction de la charge électrique appliquée. »

C’est probablement en bioélectronique que ces polymères sont les plus prometteurs. Ils conduisent non seulement des électrons (et donc du courant), mais aussi des ions. Cela leur permet par exemple de mesurer une activité biologique. À Mines Saint-Étienne, Esma Ismailova utilise déjà PEDOT:PSS pour réaliser des électrodes textiles capables de tracer l’activité du cœur.

 

PEDOT:PSS fascine les chercheurs

De tous les polymères conducteurs, PEDOT:PSS est à ce jour celui qui présente les meilleures conductivités ionique et électronique, d’où sa popularité auprès des chercheurs. Mais pour aller plus loin dans ses applications, il reste encore à comprendre sa structure et les paramètres qui influencent l’une ou l’autre des conductivités. Depuis le printemps dernier, un premier pas de taille a été franchi.

L’équipe de Georges Malliaras à Mines Saint-Étienne, en collaboration avec des chercheurs des Etats-Unis1,2,3 et d’Espagne4, a en effet rapporté les tout premiers travaux d’analyse structurelle et d’étude de la conductivité ionique de PEDOT:PSS. Des résultats parus dans la prestigieuse revue Nature Communications le 19 avril 2016.

 

Une structure révélée grâce au rayonnement synchrotron

La communauté scientifique savait déjà que PEDOT était responsable de la conductivité électronique et PSS de la conductivité ionique. Le premier présente en effet une succession de doubles liaisons chimiques permettant de transporter rapidement un électron le long de sa structure. Quant à la molécule de PSS, des groupes aromatiques chargés négativement et jalonnant la chaine principale du polymère permettent de transporter des ions positifs — appelés cations.

Mais il fallait encore bien comprendre comment PEDOT et PSS s’agencent entre eux. Les études aux rayons X classiques ne permettent pas de bien observer la structure de PEDOT:PSS car les deux composants sont difficilement discernables. Pour pallier ce problème, Georges Malliaras et son équipe ont utilisé un accélérateur de particule appelé synchrotron.

Cet instrument peut produire des rayons X de très haute intensité, permettant d’observer avec plus de précision la structure de PEDOT:PSS. L’équipe a ainsi pu valider des hypothèses émises par leurs confrères scientifiques, avançant que PEDOT forme des poches au sein de PSS. Elle a également mis en évidence que ce phénomène dépendait des solvants utilisés lors de la synthèse du polymère. Aussi les chercheurs ont-ils voulu observer l’influence d’un additif appelé éthylène glycol sur la formation des poches de PEDOT, afin de contrôler sa dispersion au sein de la matrice PSS.

 

Contrôler la conductivité ionique

PEDOT:PSS est synthétisé dans l’eau, puis séché par centrifugation. Georges Malliaras explique que « la transition liquide-solide de PEDOT:PSS qui s’en suit peut être très violente, ce qui ne donne pas assez de temps aux chaînes de polymères de bien s’arranger. » Éthylène glycol retarde ce processus de séchage et permet aux molécules de PEDOT de bien s’agencer entre elles. Ces zones de plus forte concentration de PEDOT forment alors les fameuses poches au sein de PSS.

En faisant varier le taux d’éthylène glycol, il est donc possible de contrôler la dispersion de PEDOT dans PSS. Augmenter la quantité de cet additif donne des zones mieux différenciées, et des poches plus importantes. La diminuer aboutit à un milieu plus homogène, où les deux polymères constituant l’alliage sont difficilement discernables. De cette dispersion dépendent les conductivités ionique et électronique. « Plus on met d’éthylène glycol, plus la conductivité électronique augmente, et plus la conductivité ionique diminue » décrit Georges Malliaras.

 

Légende : En gris : PSS. En bleu : PEDOT. Trait rouge continu : ions. Trait rouge pointillé : charges électriques. Gauche : Dans une structure plus homogène (pas d’éthylène glycol), les ions sont facilement conduits par PSS, majoritaire, alors que les électrons peines à trouver des molécules de PEDOT pour les conduire. Droite : Avec beaucoup d’éthylène glycol, les poches de PEDOT se forment mieux, et constituent une bonne "route" pour les électrons. Mais les ions ont plus de difficulté à de frayer un chemin entre ces poches.
Légende : En gris : PSS. En bleu : PEDOT. Trait rouge continu : ions. Trait rouge pointillé : charges électriques.
Gauche : Dans une structure plus homogène (pas d’éthylène glycol), les ions sont facilement conduits par PSS, majoritaire, alors que les électrons peines à trouver des molécules de PEDOT pour les conduire.
Droite : Avec beaucoup d’éthylène glycol, les poches de PEDOT se forment mieux, et constituent une bonne « route » pour les électrons. Mais les ions ont plus de difficulté à de frayer un chemin entre ces poches.

 

Un résultat obtenu par l’utilisation d’une technique appelée « mesure de mobilité de front ». Les chercheurs ont ainsi fait circuler des ions colorés dans plusieurs échantillons de PEDOT:PSS synthétisés avec des quantités différentes d’éthylène glycol. En mesurant la vitesse de propagation du front coloré, ils ont constaté une mobilité des ions plus faible lorsque le polymère avait été synthétisé avec plus d’éthylène glycol.

 

Vers de nouveaux matériaux à base de polymères conducteurs ?

« Corréler la performance et la microstructure est la première étape pour créer de nouveaux matériaux » concluent les chercheurs en fin de publication. Ces résultats pourraient en effet permettre d’optimiser des polymères conducteurs, offrant la meilleure balance entre les deux conductivités selon les usages.

La route reste longue cependant, car de nombreux autres paramètres sont à étudier. L’équipe reconnaît notamment que les applications en bioélectroniques demandent d’utiliser PEDOT:PSS dans un environnement aqueux. Or, les mesures ont été effectuées dans des conditions sèches. L’hydratation des films de polymères pourrait avoir des conséquences sur leurs structures. Georges Malliaras aura donc à cœur de poursuivre ses recherches dans ce domaine, avec l’espoir de parvenir à contrôler parfaitement les conductivités de PEDOT:PSS dans tout environnement.

 

 

1 National Institute of Standards and Technology (NIST), États-Unis
2 Washington State University, Etats-Unis
3 SLAC National Accelerator Laboratory, États-unis
4 Universidad de Valencia, Espagne

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