Si des bornes électroniques commencent à apparaître dans les bureaux de vote, de nombreux verrous technologiques freinent le développement de plateformes pour exprimer sa voix à distance par internet. La revue scientifique Annals of Telecommunications consacre son numéro de juillet-août 2016 à ce sujet. Paul Gibson, chercheur à Télécom SudParis et coordonateur de ce numéro, cosigne un article présentant les défis scientifiques à relever.
France, Allemagne, Etats-Unis… Les années 2016 et 2017 s’annoncent riches en élections. Derrière ces scrutins en perspective, des millions d’électeurs seront appelés à faire connaître leur voix. Au temps des grandes mutations numériques, l’année électorale qui se profile sera-t-elle aussi celle du vote électronique à distance ? Probablement pas, et ce malgré des plébiscites multiples à travers le monde – notamment pour faciliter la participation des personnes à mobilité réduite.
Un tel service pose en effet de nombreux défis scientifiques. La revue scientifique Annals of Telecommunications y consacre ainsi son numéro de juillet-août 2016. Paul Gibson, chercheur en informatique à Télécom SudParis, y cosigne un article introductif dressant un état de l’art en matière de vote électronique à distance, ou e-voting. Le papier présente notamment les verrous scientifiques que les chercheurs doivent encore lever.
Soyons clair : il s’agit ici d’exprimer un vote depuis son domicile, en utilisant une plateforme accessible via des outils numériques du quotidien (ordinateurs, tablettes ou smartphones). Car si des bornes électroniques de vote existent déjà, elles ne libèrent pas les électeurs de la nécessité d’être physiquement présents dans les bureaux de vote.
Le problème majeur vient de l’équilibre à trouver entre des paramètres difficilement compatibles. Un système d’e-voting efficace doit en effet permettre à un électeur de s’authentifier au service en ligne en assurant son anonymat, tout en lui permettant de contrôler que son vote ait été enregistré et compté correctement. En cas d’erreur, le système doit également lui permettre de corriger le vote sans révéler son identité. D’un point de vue technique, les chercheurs eux-mêmes restent indécis quant à la faisabilité d’une telle solution.
Le positionnement de quelques pays européens envers le vote électronique à distance
Source des données : A review of E-voting: the past, present and future, Juin 2016
La sécurité et la confiance restent primordiales pour l’e-voting
Quand bien même un tel système verrait le jour, les scientifiques soulignent le problème d’un vote hors d’un espace géré par l’administration. « Si le votant enregistre son vote dans un environnement non contrôlé, il est alors raisonnable de se demander ce qui empêche un individu malintentionné d’être présent et de contraindre le votant à suivre sa volonté » écrivent ainsi les chercheurs.
Des réponses technologiques existent, avec des systèmes informatiques vérifiables de bout en bout et empêchant le vote contraint. Des techniques cryptographiques de pointe y sont associées permettent d’assurer le secret du vote. Malheureusement, ces mesures de sécurité se traduisent par une complexité d’utilisation accrue pour le votant. Or, rendre plus difficile la procédure de vote aurait un effet contreproductif, dans la mesure où l’intérêt d’une solution d’e-voting tient essentiellement à limiter l’abstention et à une inclusion plus grande des citoyens dans les scrutins.
De plus, de telles solutions cryptées et vérifiables de bout en bout ne permettent pas non plus de garantir la sécurité à l’authentification. Pour cela, les États doivent déployer des clés d’identification électroniques. Mais cela implique de la part de l’électeur une confiance en son système gouvernemental, ce qui n’est pas toujours évident. Cependant, un système décentralisé ouvrirait une porte à l’entrée de virus et autres logiciels malveillants.
Le vote électronique, un enjeu de société
Électeurs et organisateurs doivent aussi faire confiance au réseau utilisé pour la transmission des données. Si internet semble le réseau le plus évident pour une opération de cette envergure, il est également le plus dangereux. « L’utilisation d’un réseau public comme internet rend très difficile la protection du système contre les attaques par déni de service » avertissent Paul Gibson et ses cosignataires.
La notion de confiance fait apparaître en toile de fond les considérations sociétales liées à de nouvelles techniques de scrutin. La longue route qu’il reste à parcourir ne tient donc pas seulement à des contraintes technologiques. Par exemple, aucun consensus scientifique n’est encore établi sur les réelles conséquences de l’e-voting en termes d’engagement citoyen et de réduction de l’abstention.
De même, si certaines études économiques avancent qu’une telle solution pourrait réduire le coût des élections, cela doit encore être pondéré par des analyses des coûts de construction, d’utilisation et de maintien d’un service de vote électronique à distance. La question semble donc soulever des interrogations non seulement dans les sciences de l’information et de la communication, mais aussi en sciences humaines et sociales. Nul doute que le sujet saura encore passionner les chercheurs pendant quelques temps encore.
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