Biomasse : un or vert à portée de main

Dans la course aux ressources renouvelables, la biomasse pourrait bien avoir un rôle à jouer. Elle regroupe la matière organique issue du vivant, et en particulier des végétaux qui ont plus à offrir qu’il n’y paraît. Patrick Navard est chercheur en matériaux à Mines ParisTech. À la suite de sa présentation lors du colloque « Matériaux : réalités et nouvelles frontières » organisé par l’Institut Mines-Télécom les 30 et 31 mars 2016, nous lui avons demandé de nous éclairer sur les enjeux et les limites de l’utilisation de la biomasse.

 

L’or vert prendra-t-il la place de l’or noir ? L’écrasante domination du pétrole sera-t-elle contestée par les ressources biologiques qui nous entourent ? Le prix du baril de Brent en dégringolade depuis plus d’un an semble laisser peu d’espoir à toute concurrence. Pourtant la biomasse — l’ensemble de la matière organique animale et végétale — pourrait bien faire de la résistance. Les raisons de son attrait sont en effet plus complexes qu’une simple compétitivité économique sur le marché de l’énergie ou des matériaux, filières largement alimentées par les hydrocarbures et leurs dérivés. Que le prix du pétrole soit haut ou bas, il n’en est pas moins « une ressource limitée, dont il faudra s’affranchir un jour ou l’autre » rappelle Patrick Navard, chercheur en matériaux biosourcés à Mines ParisTech. Une volonté de trouver des alternatives qui est aussi motivée par l’attrait grandissant des citoyens envers des produits au label plus vert. « Nous avons tous envie de laisser une planète plus propre à nos enfants » ajoute ainsi cet expert en matériaux bio-inspirés, replaçant les enjeux environnementaux au centre de la question. Une dimension que les marques intègrent déjà dans leur marketing de produits, arguant le respect de pléthores de normes ISO et se vantant d’émissions de CO2 toujours plus faibles.

Si ces moteurs d’une transition écologique demandent des efforts de grande ampleur sur une temporalité relativement longue — une vision de société s’impose rarement de façon unanime et immédiate — ils sont épaulés par des aspects plus pratiques. La biomasse n’est pas qu’une solution de substitution : elle est également vectrice d’innovations. « Certains produits obtenus à partir de ressources renouvelables sont bien meilleurs que ceux fabriqués à partir de ressources fossiles, argumente Patrick Navard. Nous en avons un bon exemple avec les voitures : les matériaux composites utilisant des fibres naturelles sont plus légers de 15 à 20 % que ceux en fibres de verre. » Le gain en performance du matériau biosourcé s’accompagne dans ce cas directement d’une réduction des coûts de manipulation, de transport, et à terme d’un bilan carbone plus faible — une voiture plus légère émettant moins de CO2 par kilomètre.

 

La biomasse, une opportunité pour les matériaux

L’industrie des matériaux fait partie de ces secteurs qui, à l’instar de l’énergie, pourraient être particulièrement bouleversés par cette transition. Les polymères, constituants des matières plastiques, sont en première ligne de ce changement. Mais il reste encore du chemin à parcourir. Comme Patrick Navard aime à le formuler : « L’utilisation de la biomasse pour la mise au point de matières plastiques se développe très vite, mais en partant de très bas. » Actuellement, les polymères biosourcés ne représentent que 0,1 % des polymères utilisés dans le monde. Pourtant leurs propriétés ne sont pas si différentes. Elles sont mêmes similaires. « Que nous parlions de pétrole ou de biomasse pour produire des polymères, nous parlons en fait de la même chose » explique le chercheur. Car en définitive, le pétrole n’est rien d’autre que de la biomasse, enfouie dans le sol et digérée par la Terre au travers de processus chimiques et biologiques durant des millions d’années.

 

La production mondiale de matière plastique s'élève à 300 millions de tonnes. La biomasse pourrait devenir une source de polymères dans le futur et alimenter ce marché.
La production mondiale de matière plastique s’élève à 300 millions de tonnes. L’utilisation de la biomasse comme source de polymère pourrait donc considérablement augmenter pour alimenter une demande croissante (250 millions en 2009, 204 millions en 2002).

 

Pour Patrick Navard, il est tout à fait concevable de fabriquer à peu près n’importe quel polymère à partir de ressources renouvelables : « Il faut simplement casser les fibres végétales en briques chimiques et reproduire ainsi en beaucoup moins de temps ce qui est fait par la nature ». De telles productions existent même déjà : le polyéthylène, par exemple, peut être synthétisé à partir de canne à sucre. De même, l’amidon extrait du maïs peut initier la synthèse d’acide polylactique, un polymère biodégradable utilisé notamment pour des emballages alimentaires. Une autre molécule naturelle est convoitée et déjà utilisée dans l’industrie : la cellulose. Celle-ci constitue plus de 50 % de la biomasse végétale et alimente régulièrement les usines de pâtes à papier.

 

Des raffineries pour la biomasse

Dans toutes ces synthèses initiées par des molécules naturelles, un problème subsiste : une fois la substance voulue extraite, que faire du reste des végétaux utilisés ? La cellulose est majoritaire dans les plantes, mais elle n’est pas la seule molécule. Les autres, comme la lignine et l’hémicellulose, sont essentiellement brulées dans les processus industriels actuels. Pourtant la lignine joue un rôle important pour la rigidité de la plante, et pourrait être valorisée. « La lignine est la source de composés aromatiques la plus abondante sur
Terre et elle est pour l’instant quasi inexploitée, alors que l’industrie utilise beaucoup de substances aromatiques de synthèse qui sont particulièrement polluantes 
» regrette Patrick Navard. La molécule de lignine présente dans le bois pourrait donc servir de précurseur à la formation de produits très demandés. Le chercheur modère cependant : « De nombreux travaux de recherche dans le monde essaient d’exploiter la lignine, pour l’instant avec peu de succès car c’est une molécule complexe ».

Reste l’idée de valoriser des composés considérés actuellement comme des déchets. Un principe au cœur du concept de bioraffineries. Il s’agit de calquer les procédés de traitement du pétrole où les différentes molécules constituant le brut sont séparées : les fractions lourdes servent aux bitumes et les plus légères donnent des solvants pour l’industrie chimique. Pas de gaspillage en ce qui concerne le précieux or noir. Pourquoi alors jeter des co-produits issus de la biomasse ? Illustration des avantages de la récupération : lors de la récolte de Miscanthus, une plante herbacée, un premier tamisage permet d’enlever les poussières. Plutôt que de s’en débarrasser, « celles-ci pourraient servir à l’élaboration de matériaux composites » assure Patrick Navard.

 

Miscanthus est une plante utilisée pour la fabrication de matériaux composites. Selon ses espèces, les propriétés finales du matériau sont différentes.
Outre les poussières de tamisage, Miscanthus est un genre de plante utilisé pour les renforts de matériaux composites. Selon l’espèce choisie, les propriétés mécaniques du matériau sont différentes.

 

Impact environnemental et gestion des terres

Les perspectives ouvertes par les bioraffineries doivent toutefois être tempérées. Si leur développement peut être synonyme de productions plus respectueuses de notre planète, car basées sur des ressources renouvelables, rien ne dit que l’impact environnemental sera forcément moindre. « S’il faut utiliser de la chimie très polluante pour récupérer les ressources à l’intérieur d’un végétal, l’impact environnemental n’est pas du tout réduit » met en garde Patrick Navard. Le chercheur illustre son propos avec une étude comparative d’impact menée auprès de deux usines de fils de cellulose de la même entreprise, l’une en Autriche, l’autre en Indonésie. Malgré un procédé de fabrication identique, l’usine autrichienne s’est révélée bien moins polluante. En cause ? La distance à la forêt d’où étaient extraits les arbres. En Indonésie, la forêt se situait à plusieurs centaines de kilomètres, augmentant drastiquement le bilan carbone du transport du bois, quand l’usine autrichienne était approvisionnée à l’échelle locale. « Ce problème n’est pas présent avec le pétrole, car cela coûte peu de pousser du brut dans un tuyau. Mais le bois ne peut pas être transporté de la sorte » relativise Patrick Navard.

Le placement géographique n’est pas un enjeu que pour les sites des bioraffineries. Car avec l’utilisation de la biomasse, se pose la question des terres dédiées à des objectifs autres qu’agroalimentaires. Un aspect déjà abordé il y a plusieurs années avec les cultures pour biocarburants et qui s’était alors soldé par un bilan très discutable. Entre désastres humanitaires issus de la hausse des prix du maïs ou impossibilité pure et simple d’allouer suffisamment de terres compte tenu des rendements, de nombreux problèmes se posent. Cette possibilité de préparer des biocarburants dits de première génération a beaucoup de défauts et n’est pas vertueuse. « Le problème est différent pour les matériaux, assure Patrick Navard. Nous n’avons pas besoin d’autant de culture pour ces derniers. Si le carburant représente l’un des plus gros produits du pétrole, les matériaux ne mobilisent que quelques pourcents du brut. » Il faudrait donc moins de terres pour redistribuer la demande en matériaux sur la biomasse que pour reporter celle en carburant. De plus, dans le cadre de bioraffineries, des cultures à double usage peuvent être envisagées, mêlant objectifs alimentaires et production de ressources pour l’élaboration de matériaux.

 

Convaincre agriculteurs et industriels

Il reste cependant un frein à l’essor des bioraffineries et de l’exploitation de la biomasse : l’attractivité pour les agriculteurs et les industriels. « L’agriculteur ne se lancera que s’il est certain de vendre sa récolte, et l’industriel ne développera des produits que s’il est sûr de pouvoir acheter à un prix correct » résume Patrick Navard. La structuration des filières est donc le point clef. En Allemagne, des accords entre constructeurs et agriculteurs existent, et permettent de lancer la dynamique. Mais les initiatives ne sont pas toutes fructueuses. En Amérique du Sud, la filière autour de la plante Curauá n’a pas eu le développement escompté faute de stabilité : la présence sur le marché d’un distributeur unique ne permet pas d’assurer une production sécurisée. Au niveau français, Patrick Navard assure que des initiatives voient le jour, mais note cependant que les choses sont lentes et parfois difficiles : « Il faut passer de nombreux de filtres, aux échelles régionales, départementales et communales ». Or le temps semble compté. Certes, d’un côté les ressources en pétrole s’amenuisent, et le prix viendra à augmenter sous l’effet d’une demande qui ne cesse de croître, forçant plus facilement la transition écologique et environnementale. Mais de l’autre, les émissions de CO2 grimpent en flèche, laissant de moins en moins de temps à nos sociétés pour limiter les impacts irréversibles de leurs activités.

 

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