Cerveau : la mécanique des circonvolutions

Pourquoi notre cerveau est-il replié sur lui-même ? La réponse à cette question est loin d’être simpliste. Elle vient d’ailleurs seulement d’être obtenue en ce début d’année 2016 par une équipe de chercheurs impliquant notamment l’université d’Harvard et Télécom Bretagne. Contrairement à certaines théories émises jusqu’alors, rien de génétique. Les circonvolutions de nos cerveaux seraient dues à des contraintes mécaniques. Ces travaux font l’objet d’une publication dans le journal Nature Physics, dont François Rousseau, chercheur à Télécom Bretagne, est co-auteur.

 

Amas de circonvolutions, la structure atypique de notre cerveau fascine certains, effraie d’autres, mais laisse rarement insensible. Un attrait d’autant plus grand pour cette silhouette pliée qu’elle n’est pas commune à toutes les espèces. Si les humains et plusieurs primates possèdent en effet un cerveau sinueux, ce n’est pas le cas par exemple des rongeurs, dont le cortex est lisse. L’origine de ces circonvolutions est débattue depuis des années au sein de la communauté scientifique. Pour certains chercheurs, elle est la conséquence de processus biochimiques complexes. En 1975, des chercheurs de l’université d’Harvard proposaient une autre théorie : le développement du cerveau en circonvolutions serait la conséquence de contraintes mécaniques apparaissant lors de sa croissance. Quarante ans plus tard, une collaboration internationale vient de valider cette seconde hypothèse. Impliquant des chercheurs des universités d’Harvard, de Jyväskylä (Finlande), d’Aix-Marseille et de Télécom Bretagne, ces travaux ont été publiés dans le journal Nature Physics en février 2016.

Un travail d’envergure internationale

Pour prouver le rôle des contraintes physiques dans le processus d’apparition des plis, les scientifiques ont d’abord mis au point des modèles mécaniques en faisant croître des formes semblables à celle du cerveau. Les observations issues de ces expériences ont d’ailleurs fait l’objet d’une première publication en 2014 par l’équipe d’Harvard. « Mais les modèles physiques développés jusqu’à maintenant étaient des simulations sur des sortes de sphères, et les physiciens se contentaient de constater l’apparition ou non de plis » raconte François Rousseau, chercheur à Télécom Bretagne et co-auteur de la publication. C’est justement pour affiner ce modèle, et le rendre plus proche de la réalité, que des scientifiques français ont rejoint la collaboration. Entre 2008 et 2013, François Rousseau a participé à un projet du conseil européen de la recherche (ERC) sur l’IRM cérébral sur le fœtus. Ses compétences en traitement du signal ont alors été utilisées pour extraire les données des images. « Il est difficile d’obtenir une bonne image du cerveau d’un fœtus, car celui-ci peut bouger lors de l’examen par exemple » mentionne ainsi le chercheur. Après mise au point et application d’algorithmes correcteurs de mouvement sur les images IRM, le cerveau du fœtus peut être identifié et isolé du liquide qui l’entoure. À partir de là, ces données peuvent servir de départ pour faire de la modélisation 3D.

 

Segmentation foetale du cerveau
À partir d’images de coupe du cerveau d’un fœtus, François Rousseau a cherché à construire des modélisations 3D.

 

C’est au cours de ce travail que François Rousseau a rencontré Nadine Girard et Julien Lefèvre, récent lauréat d’un financement ANR jeune chercheur sur l’étude du cerveau au cours de son développement. Lorsqu’ils découvrent la publication de 2014 sur les travaux de Tuomas Tallinen, Jun Young Chung et Lakshminarayanan Mahadevan, ils décident de s’associer en étant convaincus du bénéfice de leurs travaux pour l’amélioration du modèle physique des chercheurs d’Harvard et de Jyväskylä. Les travaux sur l’extraction de forme menés sur les imageries IRM de fœtus à différents stades de développement prénatal permettent alors aux scientifiques de mieux comprendre le développement du cerveau pendant la période de gestation. C’est ainsi que la vingt-deuxième semaine de grossesse est identifiée comme période charnière, car c’est à ce moment que le cerveau entre dans une phase de croissance rapide. De ce moment jusqu’à l’âge adulte, son volume est multiplié par vingt. Cependant, cette augmentation ne se fait pas de façon uniforme. Le cortex cérébral, couche extérieure de l’organe, enregistre ainsi sur la même durée une croissance de trente fois le volume qu’il possédait lors de la vingt-deuxième semaine de gestation.

Une croissance cérébrale hétérogène

Or c’est précisément cet asynchronisme qui est identifié comme source potentielle des tensions mécaniques aboutissant à la formation de circonvolutions. Reste encore à le démontrer pour les chercheurs. Grâce aux images IRM de cerveaux de fœtus à la vingt-deuxième semaine, l’équipe a imprimé en 3D une réplique, qui a ensuite servi à façonner un moule en silicone. En utilisant celui-ci, les physiciens ont alors produit des faux cerveaux dans un matériau gélifié, qui a ensuite été recouvert d’une couche d’un autre gel pouvant gonfler par absorption d’un solvant comme l’hexane. Après seize minutes d’exposition au solvant, le modèle de cerveau présente des circonvolutions et des sillons ressemblants fortement à ceux de véritables cerveaux. De plus, les étapes d’émergence de ces formes sont similaires à celles observées par imagerie IRM. Pour les chercheurs, la gyrification — le processus d’apparition des circonvolutions — « est initiée par la formation de sillons linéaires, qui s’allongent et se ramifient, établissant la majorité des motifs avant la naissance ».

 

Evolution du modèle mécanique du cerveau et comparaison avec la réalité.
Les chercheurs ont observé une évolution du modèle mécanique (en rose ci-dessus) similaire au développement cérébral réel (représenté par image de synthèse en blanc).

 

Bien que les résultats corroborent d’ores et déjà l’hypothèse émise en 1975, les chercheurs souhaitent cependant améliorer leurs simulations. Le procédé présente en effet certaines limites. Dans un premier temps, les observations mettent en évidence une asymétrie notable entre les deux hémisphères du cerveau factice. Si la symétrie n’est pas non plus parfaite sur un véritable cortex humain, les scientifiques notent toutefois que les deux moitiés du modèle « diffèrent plus que dans la réalité ». La cause ? Pour François Rousseau, cela pourrait provenir de « petites erreurs sur la segmentation numérique, lors de l’étape de traitement des images, qui peuvent être amplifiées lors du passage au modèle mécanique et déformer la simulation ». Dans un second temps, et par nécessité pour la faisabilité de l’expérience, les chercheurs ont considéré la croissance du cortex comme uniforme, bien qu’ils sachent que cela ne soit pas le cas. Le modèle néglige également le rôle du crâne sur développement de la surface cérébrale. Enfin, le modèle mécanique n’a pas encore la capacité d’augmenter par trente son volume par absorption du solvant, comme le fait un cerveau humain lors de sa croissance.

Ce sont tous ces détails que les chercheurs tenteront de corriger dans la suite de leurs travaux. Car l’exploration du sujet ne s’arrête par là. Outre l’amélioration du modèle, les scientifiques veulent aller plus loin dans les simulations, en cherchant notamment à dérouler le processus de formation des circonvolutions en sens inverse. Un projet qui pourrait permettre d’améliorer la détection et la compréhension des lissencéphalies, ces maladies issues d’une anomalie génétique entraînant un cortex lisse. « À partir d’une imagerie IRM prise à un instant donné, nous aimerions pouvoir revenir en arrière par simulation pour mieux comprendre comment les modifications de la structure des plis se sont formées » précise François Rousseau.

 

En savoir + sur le traitement du signal en imagerie cérébrale

 

Vidéo de la croissance du modèle mécanique du cerveau :

 

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