Et si l’imaginaire était le socle d’un monde durable ?

Au lancement de la COP21 qui se tiendra à Paris jusqu’au 11 décembre 2015, 86 % des Français estiment qu’ils vont devoir changer leur mode de vie pour s’adapter au changement climatique1. Pourtant les actes tardent à venir. Pour Carine Dartiguepeyrou, co-auteure avec Gilles Berhault du livre Nouveaux mythes, nouveaux imaginaires pour un monde durable  et membre du think tank Futur numérique de l’Institut Mines-Télécom, une telle transformation ne peut passer que par la constitution d’une utopie collective. Elle nous rappelle ainsi avec passion l’importance de l’imaginaire dans une réflexion de société aussi cruciale que celle de la recherche d’un monde durable.

 

Où l’écriture de votre livre Nouveaux mythes, nouveaux imaginaires pour un monde durable prend-elle sa source ?

Carine Dartiguepeyrou : C’est Gilles Berhault* qui m’a sollicitée à l’été 2014 pour que j’anime un laboratoire d’innovation et de prospective dans le cadre de l’Université d’été de la communication pour le développement durable qui se déroule à Bordeaux. J’ai accepté, un peu en trainant la patte de devoir travailler l’été, mais les personnalités étaient tellement riches que j’ai cédé. Quant à l’idée de faire un livre, je trouve qu’un ouvrage collectif est motivant, il cristallise les concepts et les énergies créatives. C’est une forme donnée à une intelligence qui permet d’incarner des idées.

 

Quelle place l’imaginaire peut-il avoir dans la construction d’une société responsable ?

CD : L’imaginaire est critique, vital dans la construction d’une société. Nous ne nourrissons pas assez notre imagination. L’homme a tendance à avoir peur du vide, il se trouve des occupations en permanence. De ce point de vue le numérique accentue la connexion et la surcharge cognitive. Or l’imagination requiert contemplation, inspiration, ouverture. L’objet du laboratoire a été de créer les conditions pour mettre les participants dans cette posture.

Quant à la construction d’une société responsable, je pars de l’idée que nous ne pouvons construire un monde durable si nous ne le rêvons pas, si nous ne le désirons pas. Pour le faire advenir, il faut que nous en ayons envie. Et cela passe par le rêver, l’imaginer.

 

Les nouveaux imaginaires peuvent-ils s’affranchir de la métamorphose numérique ?

CD : Bien sûr que non, la métamorphose numérique fait partie intrinsèque de la métamorphose que nous vivons, elle la caractérise, singularise la vague de la mondialisation actuelle. Francis Jutand**, qui a participé à ce travail de laboratoire, a d’ailleurs écrit un texte remarquable sur le sujet.

Cependant, la métamorphose numérique ne peut se comprendre qu’en interdépendance avec les autres enjeux, à commencer par la crise écologique qui nous oblige à une rupture, une refonte profonde de nos modes de vie, de notre manière de travailler, de nous déplacer, etc. Ce que l’anthropocène pointe du doigt c’est bien notre responsabilité en tant qu’espèce humaine de devoir revoir nos modes de développement sur la planète. Revoir ne veut pas dire pour le pire mais au contraire en faire quelque chose de beau et de désirable.

 

Elyx, "héros transmédia d'un nouvel imaginaire post-numérique". Son dessinateur, Yacine Ait Kaci, est auteur d'un chapitre du livre de Carine Dartiguepeyrou.
Elyx, « héros transmédia d’un nouvel imaginaire post-numérique », imagine un monde durable dans la salle des négociations de la COP21. Son dessinateur, Yacine Ait Kaci, est auteur d’un chapitre du livre de Carine Dartiguepeyrou.

 

L’imaginaire est source d’utopie, mais également de dystopie. Le risque de construire un imaginaire recherché par une société n’est-il pas de créer également des peurs et des doutes par rapport au changement voulu ?

CD : Tout changement entraine peurs et doutes. Pourquoi changer quand on peut ne pas changer ? Et changer pour qui ? La crainte des personnes est de se retrouver instrumentalisées par de nouvelles aspirations. Et cette crainte est une réaction humaine. Cependant, la puissance d’un imaginaire pour un monde durable est qu’il peut être nourri par nos individualités sans forcément se retrouver dans un imaginaire donné qui cannibaliserait nos espoirs. Notre seule voie est de participer chacun à notre niveau à un mouvement plus large, à un destin de communauté. Une forme de volontés individuelles qui conscientisent un problème et y contribuent de manière diverse. La biodiversité culturelle nourrit les imaginaires. Et la force des imaginaires réside dans leur potentiel à nous amener vers un monde durable par l’énergie dirigée de nos consciences et notre cohérence. Non pas par un programme politique ou des personnes qui chercheraient à prendre le dessus sur un imaginaire donné.

 

Un imaginaire a une valeur personnelle très forte. Quel serait votre imaginaire pour un monde durable ?

CD : Pour moi c’est une volonté de s’engager et de nous dépasser. Dans le livre, je parle de « TranscenDanse », un jeu de mot entre la transcendance et la danse. Il me semble que nous devons rester en mouvement, danser, expérimenter, faire autrement, innover, itérer. Mais il faut également intégrer la complexité de notre monde et ses incertitudes, dépasser un niveau de conscience. Il nous faut évoluer et pour cela convoquer tous les talents de l’espèce humaine, à commencer par sa conscience, sa spiritualité et son sens du beau, du bon et du vrai.

 

En savoir + sur Carine Dartiguepeyrou
En savoir + sur le livre Nouveaux mythes, nouveaux imaginaires pour un monde durable, publié aux éditions Les petits matins.

 

1Étude IFOP pour Solutions COP21, octobre 2015

* Gilles Berhault est président du Comité21 et de l’association Communication et information pour le développement durable (ACIDD)

** Francis Jutand est directeur général adjoint de l’Institut Mines-Télécom. Il a coordonné l’ouvrage collectif La métamorphose numérique, paru en 2013

 

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