La santé aussi effectue sa transition numérique ! Le nombre d’examens augmente, tout comme la qualité de l’imagerie médicale, et avec eux le poids des dossiers patients. La question posée est celle du stockage de ces données numériques mais aussi de leurs transferts qui deviennent désormais des enjeux importants pour les hôpitaux. Une thématique sur laquelle se penche le living lab Prometee, qui pour son inauguration à Télécom Nancy le 29 septembre dernier, a réalisé une première mondiale en vidéo-retransmission médicale.
Si aujourd’hui les albums photos et les boîtes de VHS n’encombrent plus les étagères de nos placards, images et vidéos continuent cependant de prendre de la place dans nos disques durs. Fort heureusement, lorsque ceux-ci sont pleins, nous pouvons toujours supprimer quelques fichiers. La solution n’est pas si triviale pour les institutions qui sont confrontées aux mêmes problèmes de stockage mais à une obligation légale de conservation. C’est typiquement le cas des hôpitaux. L’exemple du CHU de Nancy est une parfaite illustration : les 250 000 examens qui y sont pratiqués chaque année génèrent 50 To bruts de clichés et films médicaux. De plus, le code de déontologie médicale établi par le Conseil national de l’ordre des médecins recommande, au travers de son article 73, une conservation des dossiers médicaux sur 20 ans. La multiplication est rapide : ce ne sont pas moins de 1 000 To de données qui doivent être stockées. Face à ce problème, une solution : la compression. Sauf que le procédé peut altérer la perception de l’image par les utilisateurs, et à partir d’un certain point, un professionnel de santé ne pourra plus exploiter le fichier. Sans compter que cette limite change en fonction des catégories de praticien : un radiologue n’aura pas la même interprétation d’une image qu’un cancérologue par exemple. Alors comment compresser un fichier sans altérer la perception des médecins ? C’est toute la subtilité du travail mené par le living lab « Perception utilisateur pour les usages du multimédia dans les applications médicales » (appelé Prometee) de Télécom Nancy, développé avec le soutien de l’institut Mines-Télécom.
A lire sur le blog : Qu’est ce qu’un living lab ?
Un protocole rigoureux
Pour déterminer la compression maximale acceptable, l’équipe de Prometee s’appuie sur un protocole rigoureux. « Pour objectiver un sentiment subjectif, comme la perception de la qualité d’une image, il faut d’abord recueillir les témoignages d’un groupe représentatif de la population étudiée » explique Denis Abraham, à l’origine de la création du living lab. Pour cela, une quinzaine d’experts d’un domaine d’application donné se succèdent dans les locaux de Prometee. Chacun est mis devant les mêmes images, et doit les évaluer sur une échelle portant des adjectifs qualifiant la qualité du cliché. « Tout est contrôlé, décrit Denis Abraham, de l’espacement des graduations de l’échelle de description jusqu’à l’étalonnement de la luminosité de l’écran sur lequel ils observent les images ». Les chercheurs gèrent également la luminosité de la pièce ; entièrement blanche afin de supprimer l’altération de la perception visuelle due aux couleurs parasites. L’ensemble des praticiens est soumis à cet exercice, sur plusieurs images de compressions différentes, pour un rendu allant d’une qualité exécrable à une qualité exceptionnelle. L’équipe de Prometee peut alors établir une courbe de notes en fonction du taux de compression de l’image pour chaque individu, et moyenner ces données à l’aide d’outils statistiques pour obtenir une courbe représentative de l’ensemble de la population d’experts à l’instar de celle présentée ci-dessous.
Cette courbe présente un profil asymptotique, c’est à dire qu’à partir d’un certain taux de compression — et donc d’une certaine qualité d’image — la note ne change presque pas. Il est donc possible de déterminer une valeur de compression dite « seuil » en-dessous de laquelle les experts jugent le cliché mauvais, et au-dessus de laquelle aucun d’entre eux n’est capable de déceler une imperfection. « Dire si une image est irréprochable ou si elle est inacceptable est facile, la difficulté vient lorsque nous sommes entre les deux » indique Denis Abraham. Or ce seuil permet de résoudre ce problème du doute ressenti par les médecins lorsqu’ils sont en face d’une image de qualité intermédiaire.
Première mondiale
Ce protocole maîtrisé permet aujourd’hui à Prometee de s’aventurer sur des terrains plus techniques. La transition numérique des hôpitaux n’a pas uniquement lieu dans le stockage, mais aussi dans des domaines comme l’enseignement ou la télémédecine. Nulle surprise alors que l’inauguration officielle du living lab se soit faite le 29 septembre 2015, date de la journée consacrée à la téléchirurgie. L’événement a d’ailleurs été l’occasion de réaliser une prouesse mondiale : la transmission en direct et en haute définition d’une opération ORL et celle d’une chirurgie cardiaque… en 3D. La performance ne serait pas impressionnante si elle n’avait pas été faite en utilisant une connexion internet standard tout en gardant une qualité d’image irréprochable pour le travail des chirurgiens. Pour Denis Abraham, c’est assurément une première mondiale : « Le dernier exploit du genre remonte à 2001, lorsque Jacques Marescaux a opéré une patiente de l’hôpital de Strasbourg depuis New York ». Sauf qu’alors, l’opération avait nécessité une fibre optique transatlantique dédiée et un répéteur satellite de secours. « Pour notre part, nous avons réussi à optimiser la transmission d’une vidéo qui au départ nécessite en toute logique un débit de 1,5 Gb/s pour une connexion internet d’un débit de 3 à 4 Mb/s » raconte-t-il. Si l’accessibilité technique est déjà une révolution en soi, elle entraîne également une baisse considérable des coûts, ce qui ouvre de réelles perspectives de travail. La location journalière d’un transpondeur satellite se chiffre à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Grâce à Prometee, cette somme est ramenée au coût mensuel d’un abonnement internet chez un opérateur. La démocratisation de telles pratiques est en marche et pourrait rapidement sortir du simple cadre de la recherche, tant des entreprises comme General Electric, Siemens, Phillips ou EOS sont intéressées par les travaux de Prometee. La satisfaction de Denis Abraham est donc compréhensible, à tel point qu’il ironise en guise de conclusion : « aujourd’hui, un chirurgien peut opérer à distance avec la même connexion que les étudiants des campus de médecine qui vont sur YouTube ! ».
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