Le 6 octobre prochain, Mines Saint-Étienne accueillera la cérémonie de lancement de la chaire « Modélisation numérique avancée pour l’élaboration par infusion de composites structuraux nouvelle génération ». Celle-ci, lancée par l’équipe de recherche de Sylvain Drapier, vient couronner une collaboration de plus de dix ans avec Hexcel, acteur industriel majeur dans le domaine des matériaux composites.
Comment votre partenariat avec l’entreprise de matériaux Hexcel a-t-il commencé ?
Sylvain Drapier : Lorsque je suis arrivé en 1998 au centre Sciences des matériaux et des structures de Mines Saint-Étienne, les relations existantes avec Hexcel portaient sur le comportement de matériaux spécifiques. En 2001, j’ai débuté le travail sur les procédés d’élaboration de matériaux composites, puis je me suis assez rapidement spécialisé sur l’infusion (ndlr : voir « Le plus » en bas de page). Hexcel considérait ce domaine comme très prometteur ; leur vision et leur expertise leur ont permis de développer très tôt des structures adaptées aux procédés par infusion. Mais cette technique était alors très difficile à maîtriser, et la méthode consistant à tester et échouer avant de trouver le bon résultat s’avérait trop coûteuse. D’où l’intérêt d’utiliser la simulation pour mieux cerner les problèmes et essayer de les résoudre en amont de la conception. Le domaine est très porteur. Preuve en est : depuis 2001, nous avons hébergé sept thèses sur le sujet, financées principalement par des projets nationaux ou européens où Hexcel était partenaire.
En quoi consiste la simulation lorsqu’elle est appliquée aux procédés par infusion ?
SD : Si beaucoup de collègues académiques étudient les propriétés mécaniques des pièces réalisées, ce qui nous intéresse pour notre part est toute la partie préliminaire à ce travail. Nous partons du matériau sec — des fibres qui constituent le renfort du matériau composite — et nous travaillons sur la phase d’infusion en elle-même ; c’est à dire la pénétration de la résine dans l’architecture du réseau de fibres. Globalement nous cherchons à optimiser cette phase pour avoir un matériau qui présente le moins de porosités ou de distorsions pouvant apparaître lors de sa cuisson et de son refroidissement.
Quelle est la complexité du travail ?
SD : C’est une phase qui présente de nombreuses difficultés, en partie liées aux échelles. Il est impossible de lancer un calcul global sur des paramètres de l’ordre du nanomètre pour une pièce de plusieurs mètres d’envergure ! C’est là qu’intervient notre savoir-faire : il faut sélectionner les bons paramètres, travailler sur des échelles intermédiaires et faire de l’échelonnement pour avoir des temps de calcul acceptables, de l’ordre de l’heure. Pour arriver à une telle performance, notre équipe associe des compétences en mécanique, en physico-chimie ou encore en mathématiques appliquées. C’est ce qui fait notre spécificité.
Dans quelle mesure ces recherches intéressent-elles Hexcel ?
SD : Hexcel est un des principaux fournisseurs de matériaux composites pour l’aéronautique. C’est un secteur très spécifique. Il faut compter plusieurs années pour qu’un matériau reçoive une qualification qui lui permette d’être utilisé dans la conception d’avions. En contrepartie, ces matériaux seront utilisés tout au long de la vie de l’aéronef, y compris pour sa maintenance. C’est évidemment valable pour les composites conçus en s’appuyant sur des procédés par infusion. Notre travail permettra de contrôler exactement la répartition des fibres à l’intérieur du matériau ainsi que les éventuelles porosités. A plus long terme, il s’agira d’en déduire les déformations de la pièce résultant de l’élaboration, comme les distorsions géométriques, et leurs conséquences sur les opérations d’assemblage. Notamment, est-ce que la pièce sera capable de remplir ses fonctions en service au sein de la structure de l’appareil ?
Tous ces travaux font avancer à la fois la recherche fondamentale mais aussi l’industrie. Depuis peu, des composites sont utilisés pour des pièces de structures, et plus uniquement pour des pièces de carénage. C’est une grosse avancée. Cela prouve le degré de confiance auquel nous sommes arrivés quand il s’agit d’utiliser des matériaux composites.
Que va vous apporter cette nouvelle chaire ?
SD : Tout d’abord une meilleure visibilité à long terme. Nous avons l’avantage de travailler principalement avec le monde de l’aéronautique, dans lequel les acteurs savent attendre et sont capables d’investir pour des résultats différés de plusieurs années. Auparavant, nos collaborations se traduisaient essentiellement par des thèses CIFRE*, d’environ trois ans donc ; grâce à la chaire nous pourrons nous engager sur des projets de l’ordre de cinq ans.
Nous sommes aussi conscients que la chaire nous permettra d’explorer de nouveaux domaines. Nous avons en tête des projets sur des matériaux biosourcés, c’est à dire des composites dans lesquels les fibres ne seraient plus synthétiques, mais naturelles. Car il faut garder à l’esprit que les avions aussi devront un jour être recyclables.
*CIFRE : convention industrielle de formation par la recherche
En savoir + sur les matériaux composites
Injection ou infusion ? Deux méthodes d’imprégnation d’un composite
Un matériau composite est constitué d’une structure principale en fibres synthétiques ou végétales, appelée « renfort », noyée dans une résine dite « matrice ». Il existe deux principales méthodes d’imprégnation du renfort par la matrice.
- La première est dite « par injection » et consiste à envoyer la matrice liquide sous pression au sein de la structure de fibres. Le procédé a cependant le défaut de nécessiter des outillages coûteux et peut conduire à des imperfections, parfois critiques, car il n’assure par une imprégnation homogène du renfort dans le cas de grandes structures telles que celles rencontrées en aéronautique.
- La seconde est dite « par infusion » et est obtenue en mettant le renfort sous vide avant d’envoyer un flux de matrice liquide qui viendra remplir la structure par dépression. L’imprégnation est plus rapide (puisque le liquide prend la place du vide et non pas de l’air comme lors de l’injection) et plus homogène, mais plus difficile à contrôler.
Dans les deux cas, la résine est introduite en température, sous forme d’un liquide constitué de pré-polymères. Le matériau est ensuite cuit, afin d’assurer la polymérisation de la matrice, c’est à dire la liaison des monomères entre eux, et la solidifier. Puis l’ensemble est finalement refroidi et le matériau composite terminé.
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