Que va-t-on faire de nos déchets hautement radioactifs ? Cette question représente un enjeu écologique majeur et un vrai défi scientifique. Pour y répondre, il est nécessaire de former les chercheurs et les ingénieurs de demain. C’est pourquoi l’initiative Petrus (Programme for Education, Training and Research on Underground Storage) travaille depuis maintenant 10 ans à promouvoir l’éducation, la formation et la recherche dans le domaine du stockage profond des déchets radioactifs. Du 22 au 26 juin, la première « PhD conference » du projet européen Petrus III s’est tenue à Mines Nancy. A cette occasion, Behrooz Bazargan-Sabet, coordinateur du projet et professeur associé à Mines Nancy, nous a expliqué l’importance de l’initiative Petrus.
1) Pourquoi avez-vous lancé l’initiative Petrus ? Quelle était l’idée de départ ?
L’idée vient d’un constat, notamment de l’IAEA (l’Agence internationale pour l’énergie atomique), qui a alerté la communauté internationale sur le risque de zones de disparition de compétences au niveau de certains secteurs nucléaires. En particulier, dans notre domaine : le stockage des déchets nucléaires.
Parce que nous sommes une petite communauté – jusqu’à très récemment, c’était plus un domaine de recherche que de l’ingénierie –le renouvellement et le maintien des compétences sont problématiques du fait du peu de personnes impliquées au niveau mondial et européen. Bien qu’au niveau de la recherche, il y a eu des avancées extraordinaires ces trente dernières années, il n’y a pas eu beaucoup de transfert vers la partie enseignement et formation. Or, la moyenne d’âge dans la profession s’approche dangereusement de l’âge de la retraite. On a pensé donc qu’il fallait faire quelque chose pour que les compétences passent d’une génération à l’autre : cela passe par l’enseignement et la formation, et cela doit se faire au niveau européen pour mutualiser. C’est cette idée qu’on a apporté en 2003 à la communauté européenne pour lancer le projet Petrus, qui a démarré en 2005. Aujourd’hui, on en est à la troisième application : Petrus III.
Dans chaque pays, dans des domaines connexes au stockage des déchets radioactifs (géochimie, mécanique des roches, hydrogéologies, etc.), il y a un ensemble de cours existants dans différentes universités et sous différents aspects. Dans certaines universités, il y a aussi quelques heures de cours spécifiques sur le stockage profond des déchets radioactifs, notamment à Mines Nancy. Dans le cadre de Petrus, on a réussi à regrouper ces cours provenant de différentes sources dans un ensemble commun et on a utilisé les moyens d’internet pour diffuser ces cours en temps réel dans plusieurs universités. Très rapidement, on s’est aperçu qu’il fallait qu’on s’intéresse aussi à la formation professionnelle, et on a développé ainsi un cadre pour ce type d’enseignement, basé toujours sur le stock de cours disponibles au niveau européen. Mutualiser, c’est la philosophie du projet Petrus pour l’enseignement. Aujourd’hui nous avons 21 partenaires dans 12 pays européens.
2) Pourquoi est-il nécessaire aujourd’hui de former des étudiants dans le domaine du stockage profond ?
Parmi les catégories de déchets radioactifs, les déchets hautement radioactifs à vie longue et générant de la chaleur représentent une très faible quantité, mais ce sont les plus dangereux. Leur durée de vie peut aller jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’années, voire un million, et ils dégagent de la chaleur pendant encore quelques siècles. Le stockage profond répond au problème que pose ce type de déchets. Par profond, on entend quelques centaines de mètres. En France, le stockage se fera à 500-600 mètres de profondeur.
Aujourd’hui, suite à une décision mondiale, avalisée par la Commission Européenne, chaque pays doit prendre soin de ses propres déchets. La Finlande sera le premier pays à stocker de cette manière ce type de déchets. Suivra probablement la Suède, puis est attendue la France vers 2025. A partir du moment où des choses concrètes vont être lancées, il y aura une explosion des besoins en ingénierie, tout en sachant que les besoins en recherche ne vont pas diminuer. Il y a fort à parier qu’on assistera à une demande exponentielle sur un temps relativement court (5-10 ans) et qui va durer, puisqu’un tel projet de stockage dure au moins 50 ans – beaucoup de gens parlent d’un siècle. Pendant toute cette période, il va y avoir une demande importante en compétences et en savoir-faire. L’idée c’est un peu d’anticiper cette demande en donnant à nos élèves suffisamment d’éléments pour qu’ils ne commencent pas tout à zéro s’ils veulent s’intégrer dans ce domaine-là, et qu’il n’y ait pas de trou générationnel.
Malheureusement, on est confronté à un problème général, qui se répercute au niveau des recrutements et des étudiants : un rejet qui se développe dans la population autour de tout ce qui est nucléaire. Sauf qu’il s’agit ici d’un vrai problème d’écologie plutôt que de nucléaire, car ces déchets existent déjà. Même si on arrête le nucléaire aujourd’hui Il y aura encore des déchets pendant 300 ou 400 ans.. Un réacteur dure facilement 40 ans en moyenne, son démantèlement prendra au moins un demi siècle Il faudrait faire en sorte que ces déchets ne soient pas dangereux ni pour les hommes ni pour l’environnement.
Un des aspects que PETRUS essaie de développer consiste donc à communiquer au maximum avec les étudiants, pour démontrer que les solutions de stockage que l’on propose sont celles qui minimisent le plus les risques.
3) A quels autres enjeux de communication répond la première « PhD Conference » du projet Petrus ?
Un des axes du projet Petrus III est de créer de l’interaction au niveau des étudiants en thèses dans différents secteurs des déchets radioactifs. Un thésard va travailler sur un aspect du problème de façon très détaillée et sera complètement déconnecté de tous les autres aspects, qui sont aussi très importants et sur lesquels d’autres étudiants travaillent.
Or, pour que les doctorants soient bien formés, il faut qu’ils aient de l’information sur l’ensemble des recherches dans le domaine. En parallèle, il y a des domaines de recherche qui peuvent sembler « exotiques » à beaucoup de doctorants . Par exemple, les attaques bactériologiques dans le cadre du stockage est un sujet exotique pour un doctorant en géomécanique.
On a combiné ces deux aspects dans les « PhD Conferences » : les étudiants en thèse viennent présenter leurs travaux aux autres étudiants afin qu’ils puissent échanger entre eux et créer des collaborations, tout ça sous l’œil des professeurs et avec l’aide des professionnels. On leur donne aussi quelques cours spécifiques pour ouvrir leur champ de vision.
Cette année, pour la 1re manifestation à Nancy, 15 étudiants en thèse ont fait une dissertation sur leur domaine et 7 professeurs venant des universités européennes partenaires du projet ont proposé des cours aussi bien scientifiques que portant sur des aspects sociaux ou règlementaires comme par exemple un cours sur la démocratie et le problème de l’acceptation du stockage par la population. Au final, nous sommes assez satisfaits de cette première manifestation qui a réuni outre les étudiants une trentaine de participants européens. La discussion s’est bien amorcée et les gens ont commencé à avoir des idées plus ouvertes sur certains aspects. La prochaine conférence aura lieu aux Pays-Bas, en 2016.
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