L’internet de demain : nouveaux enjeux, nouvelles problématiques

En quelques années, internet a révolutionné notre quotidien, s’immisçant dans tous les pans de notre société. Mais les transformations à venir seraient bien plus profondes, induisant des changements majeurs de paradigme dans les secteurs verticaux tels que la santé, l’énergie, l’environnement… Daniel Kofman, chercheur à Télécom ParisTech, esquisse depuis des années le futur visage d’internet et étudie ses nouvelles problématiques.

 

Assistons-nous à un nouveau tournant de l’internet ?

Il y a eu trois phases dans l’évolution de l’internet. La première démarre avec les prémisses du réseau, englobe l’apparition du web 1.0 et s’achève à la fin du millénaire avec le développement des accès haut-débit. La deuxième génération est celle du web interactif, l’explosion des réseaux sociaux, la généralisation du cloud et de l’internet mobile. Nous rentrons maintenant dans la troisième génération, dans laquelle le numérique devient le principal vecteur d’innovation dans la plupart des secteurs verticaux, notamment grâce à la fusion progressive entre le monde réel et le monde numérique. Cela se fait au travers d’évolutions telles que l’internet des objets, le Big Data et les avancées dans la réalité virtuelle et augmentée.

 

Qu’apportera l’internet de demain à nos sociétés ?

Le rapprochement entre les mondes réel et numérique passe par la capacité du  numérique à « observer » le monde physique, cela grâce à un déploiement massif de capteurs connectés aux infrastructures de l’internet des objets, rendant par exemple possibles des systèmes médicaux basés sur le suivi en temps réel de l’état de santé des citoyens ; une optimisation de l’équation énergétique au travers d’une visibilité fine de la consommation, de la production et du stockage de l’énergie ; l’intégration de systèmes de transport hétérogènes basés notamment sur le suivi en temps réel du trafic et de la demande ; et l’évolution vers l’industrie 4.0 (usines et composants auto-organisés pour la production de masse efficace de produits personnalisés). Cette prochaine génération implique une autre façon d’appréhender les systèmes, les infrastructures et les services, ainsi que les nouvelles technologies sous-jacentes et les problématiques sociétales.

 

Parmi les défis posés par l’internet des objets, il y a la question du Big Data

Afin que le monde numérique « comprenne » ce qui se passe dans le monde réel, il faut transformer ces données capturées en des informations, de la connaissance et de la cognition, c’est-à-dire un apprentissage qui permettra au monde numérique de prendre des décisions de plus en plus complexes et de manière autonome. Cette capacité requiert une modélisation numérique avancée du réel permettant d’interpréter correctement les données capturées. Le traitement de ces données massives, très hétérogènes et la plupart du temps non structurées, fait appel à une série d’approches souvent englobées sous le terme Big Data. L’amélioration du Big Data impose des méthodologies de travail nouvelles et pluridisciplinaires : on ne peut pas extraire de la connaissance des données mesurées sans une compréhension du domaine qui les génère, sans saisir comment elles ont été capturées et filtrées.

Finalement, ce rapprochement entre le monde numérique et le réel passe par l’action, c’est-à-dire, la capacité du monde numérique à contrôler les objets connectés du réel et donc à agir sur le réel. Il s’agit d’observer, d’analyser-comprendre-apprendre, puis de décider et d’agir.

 

Le LINCS : un pont entre le monde académique et l’industrie

Le Laboratory of Information, Networking and Communication Science, créé en 2010, est un centre de recherche industriel–académique sur les technologies de l’information et de la communication, financé par l’Institut Mines-Télécom, l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique), l’UPMC (Université Pierre et Marie Curie), Alcatel-Lucent et l’IRT SystemX (Institut de recherche technologique dont font partie notamment Orange et Thales), et ayant établi des collaborations avec plusieurs autres entreprises. Ses chercheurs étudient un vaste spectre de sujets tels que les futures architectures des systèmes de communication et d’information, les prochains systèmes de distribution de contenu, l’internet des objets, les réseaux sans fils et les futurs réseaux mobiles, les réseaux électriques intelligents (smart grids), les transports intelligents, l’analyse structurelle des réseaux sociaux, etc. En savoir +

 

Ce tournant implique-t-il un changement des infrastructures actuelles ?

Nos voitures, maisons et villes de demain deviendront des plateformes de service, comme le sont aujourd’hui nos smartphones. Au lieu de configurer des systèmes isolés, de manière statique, pour des services imaginés à l’avance, ces infrastructures seront globales et programmables afin de créer dynamiquement de nouveaux services et applications en répondant en temps réel aux besoins des usagers. Ces infrastructures programmables, basées sur des paradigmes tels que la virtualisation de toute la chaine technologique, représentent un enjeu majeur qui bouleverse les industries du domaine.

 

Quelles perspectives l’internet des objets ouvre-t-il aux industriels ?

Si le « tout connecté » doit attendre encore quelques années, le nombre d’objets connectés augmente déjà exponentiellement et les industriels sont en pleine réorganisation pour tirer les bénéfices de ces changements structurels. Alors que les années 2000 ont vu internet modelé par les grandes compagnies américaines, ce prochain tournant pourrait permettre à la France et à l’Europe de refaire son retard. L’internet des objets ouvre de multiples opportunités au travers de la convergence du numérique avec les secteurs verticaux, or la France et l’Europe sont très bien positionnées dans le domaine de l’énergie, des transports ou de la santé, par exemple.

 

Quel est le positionnement de l’Institut Mines-Télécom sur ces problématiques ?

Dans ce contexte, la recherche académique et partenariale de l’Institut Mines-Télécom est déjà reconnue. Notre force est que d’une part nous maitrisons les technologies de l’information et de la communication, et d’autre part nous avons historiquement tissé des liens très forts avec le secteur industriel. Nos chercheurs s’attellent ainsi à anticiper les problématiques posées par les objets connectés, contribuant à bâtir l’internet de demain. Une bonne illustration en est notre contribution à l’étude « Internet : prospective 2030 »  pour France stratégie. Mais la recherche continue à avancer très vite.

 

Photo_Daniel_KofmanNé en Uruguay, Daniel Kofman arrive en France avec un diplôme d’ingénieur en poche et obtient son doctorat en 1993. Recruté la même année comme enseignant-chercheur à Télécom ParisTech, il multiplie depuis, parallèlement, les missions et postes de responsabilité. Entre autres, des missions de consultations pour de grands acteurs industriels, un rôle d’expert pour diverses institutions nationales et internationales (il est notamment membre du Comité Scientifique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, OPECST-Assemblée Nationale), président du conseil de direction et coordinateur scientifique du réseau d’excellence européen «Euro-NGI» qu’il cofonde en 2003, etc. Il est également à l’origine de deux start-up et du LINCS (cf. encadré). Pour le principal intéressé, l’addition de toutes ces casquettes a un sens. « Ces missions ne sont pas indépendantes, elles se valorisent mutuellement », explique ainsi Daniel Kofman. Une somme de travail qui ne l’a pas empêché de continuer depuis plus de 20 ans à donner des cours à Télécom ParisTech. « La transmission a toujours été ma principale mission », confie-t-il. « De plus, les retours des étudiants de qualité sont aussi un moteur de réflexion ». Définir les réseaux de communication de demain, sans oublier de communiquer son savoir, tout simplement.

Rédaction : Umaps, Yann Chavance

Retrouvez ici tous les articles de la série « Carnets de labos »

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