Olivier Fournout, professeur à Télécom ParisTech, est passionné de cinéma. A force de regarder des films et de lire des manuels de management, il a été frappé par une étrange similitude entre les héros des films américains et le modèle du leader tel qu’il est présenté dans les traités. Il s’est donc attaqué au visionnage de plus de 200 films, parmi lesquels Titanic, Avatar, Le Faucon maltais, Scarface ou encore La Planète des Singes. Ces recherches ont donné lieu à un ouvrage : Héros : action, innovation, interaction dans les organisations et au cinéma, édité aux Presses des mines, qu’il présente le 25 septembre 2014 à Mines ParisTech.
Imaginez que vous regardez à nouveau le film Avatar, mais cette fois en analysant les critères qui font que le héros, Jake Sully, devient le parangon du leader au service du peuple Na’vi. Pèse sur lui, selon Olivier Fournout, comme sur les managers des temps modernes, six prescriptions en tension qu’il doit remplir : la matrice du héros. Il doit être tout à la fois dans un rôle et intériorisé, en mission et dans l’écart, négociateur et tout puissant. « Jake Sully est projeté dans un corps autre, donc la prise de rôle est maximale. L’intériorisation est extrêmement forte, parce qu’il est dans un fauteuil roulant. Il a une mission énorme : sauver une planète, mais est en écart perpétuel avec tous les camps. Il privilégie la négociation, et de manière ultime, il va au maximum de la puissance en tant que guerrier. Pour moi, c’est comme si le réalisateur et le scénariste avaient voulu saturer tous les critères de manière très forte. » Certes, cela semble une étrange idée d’associer héros et leaders américains. Pourtant, dans le domaine des théories du management, ce sont les Etats-Unis qui dominent depuis 50 ans au moins. Et dans le cinéma, il se trouve que ce sont aussi les Etats-Unis qui dominent. « Rapprocher les deux modèles, c’est une manière de dire qu’il y a peut-être des passerelles entre ces deux domaines prédominants dans les représentations des relations humaines que sont les modèles de management et les modèles de héros cinématographiques. »
Le détour fictionnel pour enseigner les relations humaines
Depuis 2004, Olivier Fournout donne des cours sur les figures du leadership, de la négociation, et des relations humaines au cinéma à Télécom ParisTech. « Ici, on a des étudiants recrutés sur un savoir scientifique qui se préparent un jour à être des managers. Ils ont donc besoin d’avoir une dimension de formation qui a trait au relationnel de la vie au travail : gestion de conflits, situations de communication interpersonnelle, résolution de problèmes. » Le détour fictionnel par le cinéma sert de support pour aborder ces questions complexes. « Il y a une richesse de la représentation cinématographique qui permet de parler des relations humaines de manière complète, avec tous les enjeux existentiels, philosophiques, éthiques, et pas simplement stratégiques et économiques. » Il s’agit non plus seulement d’étudier des concepts, mais d’être témoin de situations problématiques. « La force du cinéma c’est de donner à voir des êtres doués de corporéité, d’émotions fortement exprimées, d’affectivité, de dialogues. » Et il insiste sur un deuxième argument, la qualité exceptionnelle des représentations qui nous sont offertes : « Le cinéma est un art interactionnel. Les scénaristes et les metteurs en scène sont vraiment des spécialistes du dialogue. On ne retrouve pas ce niveau de finesse et de complexité dans des études de cas. »
Face à l’objet cinématographique, les étudiants sont amenés non seulement à percevoir les lignes de force et les tensions propres à la pratique managériale, mais aussi, en analysant et en confrontant leurs points de vue, à s’y exercer. « Pour moi et tel que je le formule dans ma pratique, le détour fictionnel est un prétexte à se dire que le leadership ne va pas de soi, qu’il relève d’un apprentissage qui passe par des lectures et des discussions en cours. »
« Recomplexifier la culture populaire et en même temps les approches des relations sociales »
Cette approche, assez originale dans le domaine des sciences du management et que le chercheur a tenté de structurer dans son ouvrage, a des racines profondes. « J’ai une forte pratique, très ancienne, du détour par le théâtre et par le cinéma pour parler des relations humaines ». A travers des créations collectives dans le domaine pédagogique et en dehors, il s’est intéressé petit à petit aux modèles relationnels qui sont véhiculés dans le cinéma.
En parallèle, depuis 15 ans, de plus en plus de manuels de management font de manière centrale le parallèle entre des scènes de cinéma et des scènes de management. « La plupart de ces ouvrages vont chercher la scène de film comme une illustration. Dans ma posture de recherche, j’ai essayé d’avoir une approche plus structurelle, en étudiant un grand nombre de films et de traités de management et en essayant de trouver une zone de description commune aux deux. » Sa conviction profonde est que « la fiction a une carte à jouer pour recomplexifier la culture populaire et en même temps les approches des relations sociales. »
« Méthodologiquement, ce n’est pas facile de comparer un corpus de films et de traités »
Sa méthode de recherche est autant transdisciplinaire que son sujet, et emprunte des outils qui viennent de la littérature, via les sciences de l’information et de la communication. « Les gestionnaires trouvent ça un peu bizarre, ils vont dire qu’il faut aller voir les vrais managers. Pourtant, à un certain moment, il est important de se permettre le détour par la fiction y compris sur les sujets les plus sérieux. » Bien sûr, sans échapper au regard critique, sociologique, philosophique, grâce à une prise de distance et une capacité à montrer des contradictions internes.
« Méthodologiquement, ce n’est pas facile de faire de l’analyse de contenu et de comparer un corpus de films et de traités. » Il s’agit d’abord de comparer les signes, visuels d’un côté, discursifs de l’autre, qui décrivent des critères propres au leadership, puis de pointer des thèmes récurrents. Or, les signes dans les films ne sont pas les mêmes dans les livres. « Une arme à feu dans un film de mafia va coder la toute-puissance, même si il n’y a pas d’arme à feu dans les manuels de management et que la mise à mort n’est pas de même nature. Ces systèmes d’équivalence entre le visuel et les mots présentent une vraie difficulté. »
Six mots (rôle, intériorité, mission, écart, négociation, toute-puissance) sont alors sortis de ses notes, qui peuvent paraître bien réducteurs. « A l’intérieur de chacune des catégories, il y a une variété de termes que je peux déplier : l’excellence pour dire la mission, la mort pour la toute puissance, l’émoi pour l’intériorité… Je ne suis pas satisfait de cette nécessité de communiquer sur ces six critères et de les résumer à un mot. »
La question qui ressort de cet ouvrage, qui tente de déterminer l’identité de ces managers modèles, héros des temps modernes, est finalement la suivante : existent-ils vraiment ? « Ce n’est pas facile de remplir tous ces critères en même temps. C’est en cela que c’est héroïque. Peut-être que le héros de cinéma a pour fonction de nous montrer que cela est possible. »
Rencontre avec l’auteur Olivier Fournout
Parution de « Héros », aux Presses des Mines
Jeudi 25 septembre 2014 à 18 h 30
Mines ParisTech
60 boulevard Saint-Michel, 75006 Paris
Informations et inscriptions
En savoir + sur le livre « Héros »
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