La mesure de soi (quantified self), une thématique de recherche de l’Institut Mines-Télécom, nécessite la miniaturisation des capteurs, l’optimisation de leur consommation énergétique, et parfois leur intégration dans le tissu des vêtements. Christian Person, chercheur à Télécom Bretagne, a développé dans cette optique une recherche sur la captation d’énergie dans l’environnement ambiant et le placement d’antennes au plus près du corps. Il la poursuit au sein du consortium Smart Sensing, qui innove avec des tissus de haute technologie conçus pour des usages intensifs du vêtement communicant, via un premier produit, le d-shirt, un « t-shirt digital » destiné aux sportifs.
Smart Sensing, un consortium multidisciplinaire au service d’une idée simple
Il faut réunir de multiples talents pour mettre au point un dispositif technique mesurant les paramètres physiologiques des sportifs comme la température de leur corps et leur fréquence cardiaque, ou physiques comme la vitesse, l’accélération et la géolocalisation. C’est ce qu’a fait Jean-Luc Errant, fondateur de la société Cityzen Sciences, qui souhaitait qu’un tel dispositif sache se faire oublier et fonctionne en situation extrême, comme en haute montagne ou en pleine mer. Dans sa quête de solutions, il rencontre scientifiques, ingénieurs et sportifs, et de leurs avis naît une idée en apparence simple : plus que le téléphone mobile, c’est le vêtement qui sera le support idéal pour suivre son état physique tout au long de la journée, encore faut-il y intégrer capteurs et sources d’énergie. Cityzen Sciences est créée en 2008, et deux années de recherche académique suivent pour faire un état de l’art.
Avec en 2010 une aide importante de BPI France tant le projet a séduit, l’entreprise réunit dans un consortium le groupe Payen, spécialisé dans les fils et tissus élastiques à usages sportif et technique, Éolane, acteur no 1 des services industriels en électronique professionnelle en France, le groupe Cyclelab, spécialiste du vélo, qui jouera le rôle de distributeur, et Télécom Bretagne.
« L’esprit multidisciplinaire qui anime le consortium se ressent également chez le partenaire académique », souligne Christian Person, qui a fait sienne la maxime d’Isaac Newton : «Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts ». Pas moins de six départements de recherche de TélécomBretagne croisent pour la première fois leurs expertises autour du vêtement communicant de demain. Christian Person travaille sur les techniques d’intégration et de miniaturisation d’antennes et de fonctions associées, l’évaluation des interactions ondes-personnes, la conception de capteurs intelligents. Et comme « tout doit être optimisé », ses collègues s’intéressent aux algorithmes de mesure des enregistrements électrocardiographiques, à la détection d’événements sur les signaux captés, aux interfaces logicielles car les données sont récupérées sur une plate-forme dédiée, ou aux protocoles IPv6 adaptés aux objets connectés.
Récupérer l’énergie ambiante
Vêtu du d-shirt, un cycliste mesurera ses paramètres cardiaques par des électrodes situées près de la poitrine, les informations étant transmises par les fils du tissu, « des trames de fil de 25 microns, dans lesquelles on trouve à la fois des isolants et des conducteurs », à une carte électronique située en haut du dos et servant de passerelle pour déverser les données collectées en fin de parcours vers un terminal connexe.
Parmi les enjeux technologiques du d-shirt — miniaturisation, intégration dans le textile de fibres conductrices, capteurs textiles connectés, gestion de l’énergie et traitement des données — Christian Person s’intéresse aux composants antennaires et à la captation de l’énergie. Pour des raisons de coût, de taille ou de poids, la seule alimentation des capteurs embarqués par batteries ne suffit pas à apporter l’autonomie nécessaire. Les gradients thermiques, les vibrations mécaniques, les ondes lumineuses ou radiofréquences sont autant de sources potentielles d’énergie dans l’environnement ambiant. « Pour l’instant, explique le chercheur, l’énergie collectée est celle des ondes radio, en cherchant à exploiter ce spectre électromagnétique omniprésent », mais d’autres sources seront possibles, « comme la récupération d’énergie par microgénérateur piézoélectrique, à partir de la dilatation du tissu quand on respire, ou des mouvements du vélo ». Toutes les sources d’énergie n’ayant pas la même fiabilité, les composants piézoélectriques par exemple, « la piste étudiée aujourd’hui s’appuie sur une collecte multi-énergie cumulée ». L’énergie thermique semble à ce titre très prometteuse compte tenu des gradients entre le corps humain et l’environnement, en particulier dans le contexte sportif.
Mesurer au plus près du corps
L’intérêt de Christian Person pour les capteurs placés sur ou dans la personne vient d’une recherche effectuée de longue date sur les effets sanitaires des ondes téléphoniques. Des sondes développées à l’origine pour Antennessa (devenue Satimo), entreprise essaimée et incubée de Télécom Bretagne, dans le cadre du projet Comobio qui coordonnait ce type d’études, le chercheur, aujourd’hui expert Cofrac (Comité français d’accréditation) pour la certification des téléphones, s’intéresse à présent aux avantages de ces ondes. « Une idée est d’intégrer des antennes sur le corps pour localiser précisément les parties du corps par la mesure des signaux radio émis » et c’est l’objet du projet BoWI (body world interaction) mené depuis le premier octobre 2012 pour une durée de quatre ans au sein du Labex breton CominLabs. Le chercheur est également un des responsables du laboratoire WHIST, commun à l’Institut Mines-Télécom et Orange Labs, créé en 2009 et dédié à l’homme communicant et aux interactions entre ondes et personnes. « Les réseaux corporels restent encore très périphériques (les capteurs sur la personne), mais l’on commence à intervenir de manière de plus en plus interactive avec le corps, sur des projets en mode non intrusif et non invasif, et à viser des applications phares dans le domaine du monitoring en temps réel de la santé », précise-t-il. Et, en analysant les interactions entre capteurs et leurs positionnements relatifs dans l’espace, on peut s’ouvrir des champs d’application très originaux, « jusque dans la musique ou le pilotage de drones par exemple », s’enthousiasme le chercheur.
Pour l’instant, le d-shirt sera vendu à un prix de lancement visant des utilisateurs habitués à des équipements haut de gamme. Également partenaires du consortium Smart Sensing, des équipes professionnelles de sport collectif sont intéressées. « L’entraîneur peut voir l’état physique de ses joueurs en direct, et procéder à des changements au bon moment », explique Christian Person. À terme, les sportifs amateurs s’équiperont également, d’autant plus que le vêtement connecté remontera ses informations dans les réseaux sociaux, permettant l’interaction avec les autres. Et comme chacun voudra des vêtements compatibles avec des objets connectés provenant de différents vendeurs, il sera essentiel que le traitement des données soit indépendant de ces objets et de leur origine. C’est l’objectif de l’entreprise Cityzen Data, incubée à Télécom Bretagne. Enfin, une école de design complète la liste des partenaires, qui cherchent à donner une visibilité maximale au projet, accélérer les transferts d’innovation et permettre une exploitation à grande échelle des produits développés. « La personne connectée est de plus en plus instrumentée », conclut le chercheur, et nul doute que l’approche de Smart Sensing, multidisciplinaire et traitant à la fois la production, la distribution des objets instrumentés et le traitement des données mesurées, est de celles qui devraient assurer le succès de telles innovations technologiques.
Professeur et directeur scientifique adjoint à Télécom Bretagne, Christian Person estime « avoir eu des coups de chance » dans les projets de recherche qu’il a menés. Cet enseignant-chercheur « qui se prédestinait initialement à une carrière d’enseignant dans le secondaire », anime au laboratoire CNRS Lab-STICC une équipe de 25 permanents, et a dirigé plus de 30 thèses, certaines à l’origine de la création d’entreprises, comme Elliptika, société spécialiste des solutions hyperfréquences sur-mesure. Il a également déposé une vingtaine de brevets, notamment dans les communications sous-marines, car « l’eau de mer étant très proche du corps humain en terme de propriétés physiques, elle était utilisée pour étudier sans risques les interactions avec les ondes ». IEEE senior member, il est co-éditeur de plusieurs articles dans des revues internationales, et président de la commission K (électromagnétisme en biologie et en médecine) du chapitre français de l’Union Radio-Scientifique Internationale. Il fait partie du comité d’organisation de conférences scientifiques internationales dans le domaine des micro-ondes.
Rédaction : Nereÿs
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