Vers un réseau électrique intelligent

Depuis quelques années, les smart grids, ou réseaux électriques intelligents, sont sur toutes les lèvres dans le domaine de l’énergie. Alors que les réseaux actuels sont de moins en moins adaptés aux nouvelles problématiques énergétiques, notre gestion de l’énergie doit être repensée en profondeur, avec des réseaux électriques plus intelligents. Ces réseaux du futur devront ainsi être capables d’adapter le plus finement possible la production à la consommation en prenant en compte de nouveaux paramètres, comme les énergies renouvelables ou les véhicules électriques. L’Institut Mines-Télécom, avec une expertise dans le domaine de l’énergie pour les écoles des Mines et un savoir-faire dans le numérique apporté par les écoles Télécom, est impliqué dans de nombreux projets d’élaboration de smart grids.

 

Si les recherches sur les smart grids se multiplient, c’est qu’il y a urgence. « Le moteur de tout cela, c’est la transition énergétique. D’ici 2050, la France devra diminuer d’un facteur quatre ses émissions de CO2 », rappelle Marc Girod-Genet, chercheur à Télécom SudParis. Problème, les solutions annoncées pour effectuer cette transition ne sont pas toujours compatibles avec l’état du réseau électrique actuel. La plupart des énergies renouvelables par exemple, ont une grande part d’aléatoire, dépendantes des conditions météorologiques. De plus, certains particuliers deviennent à la fois producteurs et consommateurs en installant une petite éolienne ou des panneaux solaires. Une double casquette encore mal prise en compte par le réseau.
Autre problématique, la démocratisation à venir des véhicules électriques, avec des charges importantes à n’importe quel moment de la journée. « Il y a encore quelques années, il était beaucoup plus simple de gérer les grilles électriques, résume Marc Girod-Genet. Si l’on avait besoin de plus d’énergie, avec des centrales classiques, il suffisait généralement d’en augmenter le rendement. Aujourd’hui, les phases de production et de consommation sont beaucoup plus fluctuantes. » La transition énergétique attendue ne pourra donc pas se faire sans des réseaux intelligents capables de répondre à ces nouvelles problématiques.

Une évolution à tous les niveaux

Les smart grids peuvent être vues comme des réseaux électriques classiques, sur lesquels viennent s’ajouter trois nouvelles couches : un réseau de télécommunication pour faire remonter et redescendre les informations de la grille, un système de traitement de ces informations à grande échelle, et enfin une plateforme de services énergétiques.

Premiers maillons du système, les consommateurs verront leur foyer se doter de compteurs intelligents, et ce, à très courte échéance comme le rappelle Marc Girod-Genet. « Il y a une volonté au niveau européen d’équiper 80 % des foyers avec ce type de compteur à l’horizon 2020. » Ces nouveaux outils permettent de prendre des décisions locales de gestion, en fonction des habitudes de l’utilisateur, des équipements présents et de leur consommation. « Les équipes de recherche de Télécom Bretagne travaillent sur tous ces mécanismes de remontée de mesures et de traitement local de l’information, en partenariat avec Itron et Texas Instruments dans un centre de recherche commun pour mettre au point ces compteurs intelligents », explique Marc Girod-Genet. Par la suite, l’association de ces compteurs avec un réseau télécom permettra de faire remonter ces informations à un niveau plus global, jusqu’à des centres de contrôle distribués qui collecteront cette foule de données. Ces centres de contrôle l’associeront à d’autres types de mesures, provenant par exemple de capteurs relevant la vitesse du vent pour anticiper le rendement de l’éolien. « Toutes ces données sont particulièrement nombreuses et hétérogènes, l’enjeu est donc d’en gérer l’hétérogénéité afin de faciliter la prise de décision sur les actions à mener en vue d’une meilleure efficacité énergétique. Le traitement des données massives, ce que l’on appelle le big data, est  l’une de nos compétences fortes à Télécom SudParis. » Enfin, cette nouvelle architecture du réseau permettra également de proposer de nouveaux services, comme la facturation dynamique, la sélection de fournisseurs par l’utilisateur ou encore le monitorage intelligent de la consommation électrique. Des changements sociétaux dans la manière de consommer l’énergie dans lesquels l’Institut Mines-Télécom est particulièrement impliqué.

SEAS, pour une smart grid européenne
Les travaux sur les smart grids ne se limitent pas à une vision locale ou nationale. A l’heure de la mondialisation, l’Europe se penche de plus en plus sur la gestion de l’énergie. Fin 2013, un important projet européen nommé SEAS (Smart Energy Aware Systems) a ainsi été lancé, réunissant autour de la table des Espagnols, des Finlandais, des Portugais, des Turcs et des Français. Le but est aussi simple qu’ambitieux : aboutir à une interopérabilité des différents systèmes énergétiques, pour une gestion globale de l’énergie. Les systèmes de gestion étant très hétérogènes d’un pays à l’autre, tout l’enjeu sera donc de normaliser les mécanismes, les formats de données, les protocoles ou encore le matériel utilisé. Face à ce défi, les chercheurs de Télécom ParisTech et de Télécom SudParis apportent une contribution majeure à ce projet prévu sur trois ans, en se penchant notamment sur les modèles sémantiques ouverts de données énergétiques utilisés et la gestion des véhicules électriques. Selon les différents partenaires impliqués, les applications concrètes de ces recherches devraient voir le jour dès la fin du projet prévue en 2017.

Des micro-grilles aux véhicules électriques

Les chercheurs de l’Institut Mines-Télécom travaillent depuis des années sur différentes facettes de ces smart grids. et plus généralement sur ce que l’on appelle la smart energy.  Pour Marc Girod-Genet, cette implication était évidente. « Les écoles des Mines ont toujours eu des compétences très fortes dans le domaine de l’énergie pure : la gestion de la production, du transport et du stockage de l’énergie, la gestion du renouvelable, les piles à combustible ou encore la transformation de l’énergie. Les équipes de recherche Télécom apportent quant à elles leur expertise sur les réseaux de communication et leur gestion, comme sur les questions du traitement de l’information, les capteurs et la remontée des mesures, ou encore les architectures de service. Nous sommes donc très complémentaires pour travailler sur les smart grids. » Ce savoir-faire a poussé logiquement les laboratoires de l’Institut Mines-Télécom à prendre part à de nombreux projets d’envergure. Parmi eux Nice Grid (avec la participation de Mines ParisTech), lancé en 2011, a permis d’expérimenter sur un quartier entier de Nice une smart grid au niveau local, appelée « micro-grille ». Compteurs intelligents, monitorage de l’énergie, implication des usagers, toutes les facettes des smart grids sont présentes dans ce projet.
L’Institut Mines-Télécom explore également des problématiques plus indirectement liées aux smart grids, comme celle des véhicules électriques. Terminé en 2013, le projet VELCRI (1) (avec la participation de Télécom SudParis) comportait trois axes de recherche : optimiser la distribution des charges entre les véhicules, permettre une communication sécurisée entre la borne de recharge, les voitures et le réseau électrique, et enfin utiliser les batteries des véhicules comme un moyen de micro-stockage de l’énergie. « Grâce aux collaborations internes entre les chercheurs Mines et les chercheurs Télécom, nous avons beaucoup de travaux très différents en ce qui concerne les réseaux énergétiques du futur » conclut le chercheur. L’internet des objets et les communications machine-à-machine (M2M), les architectures en nuage (clouds), les impacts sur l’environnement, les enjeux sociétaux, la sécurité des données et des infrastructures… Autant d’axes de recherche développés au sein de l’Institut Mines-Télécom pour permettre de préparer au mieux la transition énergétique.
(1) VELCRI : véhicule électrique à charge rapide intégrée

En 1994, Marc Girod-Genet sort de l’EPITA. Son diplôme d’ingénieur en poche, il prend la direction des États-Unis où il décroche un Master of science au Stevens Institute of Technology. « Né au Zaïre, j’ai toujours été attiré par l’étranger », explique le chercheur. C’est pourtant en France qu’il prend son premier poste, au CNET (devenu Orange Labs), tout en suivant une thèse en parallèle. En 2000, Marc Girod-Genet obtient son doctorat en sciences informatiques de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines avant de rejoindre la même année Télécom SudParis, en tant que chef de projets de recherche européens. Il se penche plus particulièrement sur les réseaux mobiles, en s’appliquant déjà à y introduire plus d’intelligence. Enfin, il est nommé maître de conférences en 2005, ce qui lui permet d’enseigner parallèlement à ses activités de recherche. « J’aime cette optique de transfert de connaissances, confie-t-il. Le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication évolue très vite, et il faut donc adapter en permanence nos enseignements. » Et avec déjà deux décennies passées sur l’étude des réseaux en tous genres, et plusieurs distinctions, Marc Girod-Genet a un savoir considérable à transmettre…

Rédaction : Umaps, Yann Chavance

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