La chirurgie augmentée : aider le chirurgien à optimiser son geste

Les questions de santé, de bien-être et d’autonomie des personnes sont au cœur de nos sociétés. Les pathologies liées à l’âge et l’augmentation du nombre de personnes âgées posent des défis à la fois sociétaux et économiques. Les sciences et technologies de l’information ont depuis une vingtaine d’années aidé à relever ces défis, et les termes de télésanté, télémédecine, e-santé font à présent partie de notre quotidien. Parmi ces technologies, celles fondées sur l’imagerie médicale sont essentielles. Des recherches dans ce domaine sont menées à l’Institut Mines-Télécom. A Télécom Bretagne, entourée d’une équipe de recherche pluridisciplinaire associant cliniciens et chercheurs en traitement de l’information, Chafiaâ Hamitouche a participé à de nombreuses innovations ouvrant la voie à une « chirurgie augmentée ».

 

Chafiaâ Hamitouche, chercheur à Télécom Bretagne, s’est intéressée très tôt aux processus de modélisation, en commençant par la morphologie. « La forme et la fonction agissent l’une sur l’autre. C’est grâce aux mouvements du fœtus dans le ventre de sa mère que les articulations se forment », explique la chercheuse. Elle s’engage alors dans l’étude d’un espace de représentation conjoint de la morphologie (la forme) et du mouvement des articulations (la fonction).

Ces recherches permettent de mieux comprendre certains désordres ostéo-articulaires, connus sous forme d’entorses ou d’arthrose ; leur restauration nécessite alors l’intervention du kinésithérapeute ou du chirurgien.

 

L’avènement de la chirurgie naviguée

En 2001, la chercheuse s’intéresse plus particulièrement à la chirurgie orthopédique naviguée. « L’enjeu est de taille : chaque année, plus de 150 000 prothèses sont posées en France » rappelle Chafiaâ Hamitouche. Or, la planification de la pose d’une prothèse se fait encore classiquement à partir de radiographies 2D, et l’intervention s’effectue sans aucun contrôle quantifiable, entraînant des risques d’erreurs et de reprise d’opération.

L’objectif de la chirurgie assistée est d’optimiser le geste chirurgical, afin de le rendre plus précis. Ceci implique une réorganisation au sein du bloc opératoire – avec l’introduction d’un localisateur 3D et d’instruments chirurgicaux adaptés – et l’utilisation des outils de guidage dont certains furent développés au LaTIM[1]. Ces techniques permettent de réduire l’invasivité de l’intervention et parfois sa durée. Elles peuvent également éviter ou limiter l’exposition du patient et des personnels de santé aux rayons X.

La chercheuse ajoute : « Grâce à la modélisation de forme et aux images médicales, on fournit au chirurgien avant l’opération les moyens d’identification des structures osseuses du patient et des instruments chirurgicaux utilisés pendant l’opération, ainsi qu’une planification de l’opération. » Durant l’intervention, les données issues de différents capteurs sont fusionnées, et un suivi 3D en temps réel est proposé.

Cette fusion de données préopératoires, peropératoires et cinématiques permet de compléter ce que les yeux du chirurgien ne voient pas parce que la taille de l’incision est réduite ou que telle partie de la région opérée est cachée ou inaccessible. La fusion de données permettrait également de prédire les conséquences d’un geste avant de l’effectuer.

Modélisation mathématique de formes
guidée par le processus de morphogenèse

Personnalisation du traitement et de l’acte

L’aventure de la navigation continue, et la chercheuse s’intéresse depuis 2010 à la navigation de l’ablation par radio-fréquence de tumeurs osseuses. « L’avenir est à ces systèmes de chirurgie augmentée », s’enthousiasme Chafiaâ Hamitouche qui participe avec son équipe à un ambitieux projet européen ITEA2 de développement des environnements interventionnels de la prochaine génération, piloté par un leader mondial des systèmes d’imagerie médicale, Philips Healthcare, et qui réunit 27 partenaires sur 4 pays, dont 6 PME en France. La scientifique coordonne le consortium français. Celui-ci vise à accroître la productivité et l’efficacité dans les soins de santé, et à réduire risques et inconfort pour le patient, en aidant les professionnels de santé à passer de la chirurgie invasive à la chirurgie mini-invasive guidée par l’image.

Caractérisés par leur interactivité, leur interopérabilité et leur multimodalité, ces environnements faciliteront la mise en œuvre de procédures tenant compte des spécificités du patient. Les techniques apportées par l’équipe de Chafiaâ Hamitouche permettent de planifier ces paramètres avant l’intervention, et d’irradier les tumeurs plus efficacement et plus raisonnablement.

OSTESYS et IMASCAP, deux sociétés issues des laboratoires

L’ostéotomie supérieure du tibia est une technique chirurgicale qui permet de traiter l’arthrose du genou. Peu invasive, peu coûteuse et rapide à exécuter, elle concerne 7 000 patients par an. Mais, pour obtenir de bons résultats à long terme, il faut être extrêmement précis. Issue d’un premier projet de l’équipe de recherche de Chafiaâ Hamitouche autour de l’ostéotomie du genou, la société OSTESYS, fondée en mars 2009, conçoit et fabrique des dispositifs médicaux intelligents intégrant technologies de chirurgie augmentée, instrumentations chirurgicales innovantes et implants mini-invasifs qui permettent d’atteindre cette précision. En savoir +

C’est dans le cadre d’un projet ANR, avec comme partenaires le LaTIM et le CHU de Nice, qu’a été créée en 2009 la start-up IMASCAP, spécialisée dans la navigation guidée par l’image de la chirurgie de l’épaule. La prothèse totale de l’épaule apporte en effet des difficultés complémentaires : l’environnement est mou, les muscles sont très importants dans cette zone, la prise de repères n’est pas très sûre. La technologie permet de reconstruire, à partir de l’image scanner, une représentation en 3D des différentes structures de l’épaule, qui seront recalées de façon robuste et fiable sur quelques points prélevés par palpation sur le patient dans une zone très réduite, rendant possible l’opération sur les cas les plus complexes. Chaque année en France, 25 000 personnes sont concernées. En savoir +

De la recherche fondamentale à l’exploitation clinique

Ces procédures de navigation augmentée sont utilisées aujourd’hui en routine clinique. C’est grâce à de très nombreuses discussions avec les chirurgiens que la chercheuse a pu développer des solutions nouvelles, sources d’économies, de meilleure maîtrise de leur geste et finalement, de bien-être pour le patient. Ainsi en est-il des travaux effectués depuis 2006 sur les prothèses adaptatives, qui évoluent en fonction de la vie du patient. Ces prothèses embarquent de l’électronique et des éléments mécaniques mouvants, permettant des réglages post-opératoires pour en ajuster le fonctionnement.

Aujourd’hui, quatre verrous technologiques sont en passe d’être levés grâce aux chercheurs : la génération d’énergie dans la prothèse, l’évaluation du déséquilibre ligamentaire, la mise en place du système de télémétrie, et l’actionnement. De nouvelles opportunités pour créer des start-up et des emplois ? A suivre…

Chafiaâ Hamitouche aurait pu s’orienter vers des études de médecine, mais elle voulait avant tout faire des mathématiques. Elle obtient son diplôme d’ingénieur en Algérie en 1987, et est lauréate d’une bourse pour un doctorat à l’étranger. Préférant le traitement du signal à l’électronique, elle s’oriente vers la recherche pour retrouver le domaine médical. Elle s’intéresse dès 1988 à l’imagerie médicale tridimensionnelle et soutient une thèse de doctorat en 1991 sur un sujet prometteur : l’analyse d’images médicales tridimensionnelles, application à l’extraction de structures anatomiques, au Laboratoire de traitement du signal de l’image de l’Université Rennes 1.

Ayant toujours vécu à proximité de la mer, elle choisit de poursuivre sa carrière à Brest, un environnement où elle apprécie qualité de la recherche et qualité de vie. Elle soutient en 2005 son Habilitation à diriger des recherches sur la modélisation géométrique et cinématique en imagerie médicale 3D. Professeur en Traitement du signal et de l’image à Télécom Bretagne, elle est aujourd’hui également directrice adjointe du LaTIM.

Impliquée dans plusieurs projets relatifs à la chirurgie augmentée, elle a coordonné des projets nationaux et européens, et dirigé plus de 12 thèses de doctorat. Elle est co-inventeur de 5 brevets nationaux ou internationaux et de dépôts de logiciel.

Mais la chercheuse souligne l’importance du travail d’équipe. À son arrivée à Télécom Bretagne, Christian Roux, l’actuel directeur scientifique, s’intéressait déjà aux structures ostéo-articulaires. Eric Stindel, chirurgien orthopédiste et actuel directeur du LaTIM a été par la suite le déclencheur pour de nombreuses innovations dans le domaine de la chirurgie orthopédique, auxquelles elle a participé. « J’ai également eu beaucoup de chance avec les doctorants que j’ai dirigés et encadrés », s’enthousiasme-t-elle, racontant leur passion pour le domaine de la chirurgie naviguée, jusqu’à susciter des vocations de créateurs d’entreprise

[1] Le LaTIM, Laboratoire de Traitement de l’Information Médicale, est une unité mixte de recherche de l’Inserm (UMR1101) réunissant le CHRU de Brest, l’Université de Bretagne Occidentale et Télécom Bretagne.

Retrouvez ici tous les articles de la série « Carnets de labos »

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