Un océan de données environnementales à traiter

S’il est aujourd’hui possible de repérer les icebergs sur la route du Vendée Globe, de suivre et d’identifier les navires pollueurs depuis l’espace ou de définir des réservoirs et corridors écologiques pour la protection des espèces animales, c’est grâce aux stations de réception et de traitement en temps réel d’images satellites et aux progrès effectués ces vingt dernières années en traitement du signal. Créer les outils assurant la surveillance environnementale, la gestion durable des ressources marines et la sécurité maritime, c’est un thème de recherche auquel René Garello, chercheur en traitement du signal à Télécom Bretagne, directeur du GIS BreTel, et récemment élu à la présidence de la société savante internationale IEEE[1] OES a fortement contribué.

 

Cartographie, climatologie, lutte contre les pollutions, océanographie… on trouve à Brest de nombreux organismes, dont Télécom Bretagne, couvrant ces disciplines. Ils collaborent au sein du pôle de compétitivité Mer Bretagne, qui œuvre pour un monde maritime sûr et durable. Expert auprès du Pôle Mer et de la région Bretagne pour NEREUS, réseau européen des régions utilisatrices de technologies spatiales, René Garello incarne cette recherche entre télédétection et sciences de la mer.

 

Télédétection et observation de l’environnement

René Garello rejoint Télécom Bretagne en 1984 après 3 années passées à la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), l’agence américaine responsable de l’étude de l’océan et de l’atmosphère. Ses travaux de thèse sur les radars d’observation de la surface de la mer l’ont conduit vers des domaines applicatifs, des compétences dont l’agence a besoin.

De retour en France, il continue d’y développer une recherche originale alliant avancées scientifiques et applications concrètes. Alors que la recherche se met en place à Télécom Bretagne, le jeune chercheur construit des projets européens avec des partenaires allemands, britanniques et italiens, sur l’observation et la télédétection de la surface marine. Les premiers liens sont tissés avec l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer), à qui l’IEEE OES confie en 1994 l’organisation d’OCEANS, sa conférence phare. René Garello en sera le Président en 2005 pour la seconde édition de la conférence à Brest.

L’originalité de ses travaux réside dans une approche bidimensionnelle de méthodes qui étaient connues auparavant en traitement du signal à une seule dimension. « Le point de départ a été le traitement du signal, quelque chose qui m’a tout de suite intéressé pendant mes études supérieures, avec un intérêt prononcé pour les mathématiques et leurs applications » raconte René Garello. Bien que portant souvent sur des données de type images, ce n’est pas du traitement d’images mais du traitement de signal à deux dimensions.

La télédétection s’effectue aujourd’hui sur des zones océaniques, côtières et littorales, mais également rurales et urbaines avec des problématiques environnementales. Une station de réception directe et d’analyse d’images satellites, VIGISAT (voir encadré), est opérée à Brest par CLS[2]. Elle offre des services de surveillance et d’observation de l’océan à des acteurs variés : responsables de l’action de l’État en mer, Défense, offshore, chercheurs, associations écologiques…

 

Vigisat, René Garello, BreTel, Télécom Bretagne
La station de réception Vigisat à Brest

VIGISAT, une station de réception directe et d’analyse d’images satellites opérée à Brest

À l’origine de cet équipement de pointe se trouve une start-up de Télécom Bretagne, Boost Technologies, créée en 2001 par Vincent Kerbaol, enseignant-chercheur, et dans laquelle René Garello est associé au départ. Un transfert de technologie – le logiciel de traitement des données – s’effectue entre Télécom Bretagne et Boost. La jeune entreprise a comme projet la création d’une station radar à Brest, mais une telle infrastructure est complexe à gérer (coûts, maintenance, accords avec l’Agence Spatiale Européenne) et la plateforme VIGISAT verra le jour fin 2009, une fois Boost adossée au groupe CLS. VIGISAT acquiert, traite, analyse et distribue ainsi 24h/24 en temps-réel des images radar haute résolution des satellites canadiens et européens. En savoir +

 

Un courant continu entre vérité terrain et théorie scientifique

Ce sont les applications sur l’environnement maritime qui motivent ce chercheur en traitement du signal. « La surface marine est très intéressante pour un traiteur de signaux, et un bon sujet d’études : la mer présente une statistique non gaussienne, non stationnaire et non linéaire. Aucun des modèles donnés aux étudiants ne s’applique plus. Par exemple, le modèle de bruit n’est pas additif mais multiplicatif, on n’a rien de standard. » explique le professeur.

Cette surface marine, c’est la pellicule d’eau autrement appelée « rugosité de la surface ». Vagues, houles, tourbillons, vent, bateaux sont alors visibles, au travers de la modulation de cette rugosité. La difficulté du traitement de ces images vient d’une mer en mouvement qui induit un effet doppler – le décalage de fréquence d’une onde entre les mesures à l’émission et à la réception lorsque la distance entre ces deux points varie au cours du temps – devant être interprété par des outils statistiques de traitement du signal : vitesse de déplacement de la vague, des courants, des bateaux. Ces vitesses doivent être prises en compte pour imager correctement.

« Les avancés scientifiques obtenues ont été liées au fait que nous cherchions une information spatialement répartie et voulions travailler à très haute résolution » précise René Garello. « De façon à pouvoir contourner le problème de la donnée qui n’est pas stationnaire, nous y sommes allés par petits morceaux qui, eux, sont linéaires. » Mais contrairement à une approche scientifique répandue, le chercheur n’applique pas n’importe quelle méthode de traitement du signal pour voir ensuite celle qui fonctionnerait le mieux. Il s’intéresse d’abord à la physique du phénomène et demande l’aide de spécialistes. « Nous nous appuyons sur la connaissance de la donnée géophysique, puis celle de l’instrument, le radar, ce qui fournit un modèle prenant en compte la physique du phénomène et l’interaction du capteur. » Cet aller-retour entre recherche en amont en traitement du signal et recherche en aval en sciences de la mer fait progresser les deux disciplines.

Comment détecter par exemple, depuis l’espace, des ondes internes, phénomène marin qui reste sous la surface et qui, en déplaçant une masse d’eau verticalement, vient modifier la rugosité de surface ? Ces ondes sont intéressantes dans la colonne d’eau : leur puissance énergétique est forte pour des structures amarrées, elles agissent comme barrières vis-à-vis des communications sous-marines. Un projet européen (MORSE) mené ainsi par le chercheur a consisté à analyser des images radars avec une connaissance de la vérité terrain, de manière à quantifier : « On a mesuré sur l’image radar la longueur d’onde de l’onde interne et sa hauteur, et avec des mesures in situ on a pu valider le modèle qui permet  de connaître le phénomène dans sa 3e dimension. »

Cette volonté de toujours confronter recherche et champ d’application se retrouve dans le choix du scientifique pour l’IEEE. Alors que les enjeux sur la climatologie et les ressources en énergies (pétrole, explorations des grands fonds, éolien offshore) se font de plus en plus prégnants, René Garello amène la société savante vers les énergies marines renouvelables, un des axes majeurs du pôle mer Bretagne et de l’IEED (Institut d’Excellence dans le domaine des Énergies Décarbonées) basé à Brest.

 

René Garello, Télécom BretagneNé en 1953 dans le sud de la France, René Garello suit un parcours purement universitaire. Après une maîtrise en télécommunications à Toulon en 1977, il effectue son DEA et son doctorat à l’INP Grenoble. Arrivé à Télécom Bretagne en 1984, nommé professeur en 1988, il passe son Habilitation à Diriger les Recherches en 1994. Pour ses travaux scientifiques, il est élu Fellow IEEE en 2006.

René Garello explique son engagement dans la société savante IEEE: « Elle nous pousse à prouver que ce que nous faisons est utile à l’humanité : elle mène une action politique auprès des décideurs, au niveau mondial. Chaque chercheur active ses contacts dans son pays, pour avoir des groupes représentatifs dans la plupart des pays qui ont un intérêt maritime. »  Il est élu président de l’IEEE OES (Oceanic Engineering Society) fin 2012, une responsabilité rarement confiée à un non-américain.

Le chercheur consacre son temps à l’IEEE et à ses recherches qu’il effectue au sein de l’équipe TOMS (Traitements, Observation et Méthodes Statistiques) du Lab-STICC breton. Équipe aujourd’hui multitutelle (UBO, UBS, Télécom Bretagne, ENIB, ENSTA Bretagne), elle est classée A+ par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres) et comporte 20 enseignants-chercheurs et 25 doctorants.

Rédaction : Nereÿs

[1] L’Institute of Electrical and Electronics Engineers est une organisation de plus de 400000 membres, regroupés en près de 40 sociétés savantes thématiques. Elle a à son actif 850 conférences par an, 2 millions de documents, près de 150 revues et plus de 1300 standards et projets en développement. Présente dans 160 pays, elle est cependant majoritairement animée et dirigée par des américains.

[2] Filiale du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) et de l’Ifremer, CLS opère ou traite des données de plus de 80 instruments embarqués à bord d’une quarantaine de satellites.

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