Dans une tribune parue début mai dans Le Cercle Les Echos, Nicolas Sennequier, directeur de la stratégie de l’Institut Mines-Télécom, se demande comment notre pays peut espérer surfer sur la déferlante des MOOC. Ces cours en ligne « massivement ouverts » font l’objet depuis quelques mois d’une attention considérable. Et à juste titre : ils ouvrent des salles de classe prestigieuses à tout étudiant, sans autre prérequis qu’une connexion internet à haut débit.
Cet avènement historique d’un nouvel accès à l’enseignement supérieur signifie, pour cette activité, une transformation de même ampleur que celle qu’ont connue la musique et les médias. Tout comme aujourd’hui on peut généralement lire un article sans acheter le journal entier, demain il ne sera pas nécessaire de s’inscrire, pour une ou plusieurs années, à une université ou une grande école pour y suivre un cours. D’ici peu, les étudiants auront l’opportunité de se composer une formation à la carte. Ils se serviront pour cela dans l’offre bourgeonnante de MOOC, qui va rapidement paver les disciplines et les niveaux.
Ce basculement de l’initiative en faveur de l’étudiant remet en question le lien intime entre les trois composantes principales de l’enseignement : offrir un contenu, accompagner l’étudiant dans son acquisition de compétences et évaluer cette acquisition. Jusqu’à présent, les trois étaient réalisées de manière intégrée par les institutions d’enseignement supérieur. Dorénavant, chacune des composantes ainsi dissociées est exposée à devenir un champ concurrentiel. La nouveauté, avec les MOOC, est la dimension sociale, massive, qui permet d’apprendre entre pairs et de s’accompagner mutuellement pour s’approprier des contenus.
Or la nature numérique des MOOC met à la disposition de ceux qui les offrent toute la dynamique d’un secteur mondialisé et très innovant. En cela, les MOOC ne sont qu’une étape dans l’irruption du numérique dans l’enseignement. Comme dans les autres activités concernées par cette irruption, des acteurs « pure players » du web ont émergé. Les plus visibles sont Coursera et edX. Ils se développent à une vitesse impressionnante : Coursera, par exemple, est née en avril 2012 et affiche aujourd’hui plus de 3 millions d’inscrits. De nombreuses grandes universités américaines misent également sur les MOOC ; ainsi, Harvard, le MIT, Berkeley et Stanford soutiennent edX.
Ces acteurs se sont lancés dans les MOOC parce qu’ils veulent mener, et non subir, la transformation de leur activité. Ils parient que ceux qui proposent ces nouveaux cours capteront une grande part de la valeur créée par l’enseignement supérieur. S’agissant d’une activité à l’impact sociétal aussi large, le mot « valeur » doit être lu selon les dimensions du développement des personnes, de la vitalité des territoires, du rayonnement des cultures, aussi bien que de l’économie propre à l’enseignement supérieur lui-même.
Un défi majeur est ainsi posé à nos enseignants et nos institutions d’enseignement supérieur et, à travers eux, à notre société tout entière. Certes, ces acteurs suivent déjà le mouvement en proposant des MOOC. Mais c’est bien tous les acteurs de l’enseignement supérieur qui doivent s’emparer de cette nouvelle façon d’enseigner. Il leur faut pour cela prendre acte de la remise en cause profonde du cours magistral, offrir des MOOC de qualité à un public mondialisé, imaginer de nouveaux modèles économiques et accroître leurs efforts d’innovation pédagogique. Bref, inventer de nouveaux espaces pour apprendre ; des espaces ouverts et centrés sur les apprenants.
Ce qui au fond marque le début d’une véritable mutation sera d’autant mieux engagé que les acteurs de l’enseignement supérieur francophones se fédèreront. Car aujourd’hui – pour combien de temps encore ? – la place est à prendre pour un lieu visible d’offre de MOOC destiné aux étudiants qui préfèrent étudier en français. Gageons que nos universités et nos grandes écoles sauront apprécier cette urgence et agir ensemble.
Nicolas Sennequier, directeur de la stratégie de l’Institut Mines-Télécom