LeWeb’12, le grand rassemblement des entrepreneurs du web, s’est ouvert hier à Paris pour 3 jours de conférences sur l’Internet des Objets. Nous en profitons pour publier ici des extraits des deux derniers cahiers de veille de la Fondation Télécom. Le premier cahier, publié en octobre 2011, portait précisément sur « l’Internet des objets, objets de l’internet ». Le plus récent, publié en octobre 2012, porte sur le « Transmédia ». Ils sont tous deux disponibles en téléchargement gratuit.
Les extraits du jour : Point de vue économique ; Considérations techniques ; Flexibilité, ouverture des données, nouvelles monnaies…
D’un point de vue économique
Les objets, propriété d’un agent ou de plusieurs agents économiques, participent à une fonction économique spécifique, que ce soit un service offert à un « consommateur » ou un service intervenant dans un processus de production. Dans l’exemple de l’univers d’objets concourant à la sécurité d’un immeuble, le propriétaire de l’immeuble est vraisemblablement propriétaire de ces composantes matérielles captant et communiquant des informations, qu’un prestataire va utiliser pour assurer un service de sécurité doté de fonctionnalités diversifiées (incendie, inondation, intrusion…). […] L’exploration des usages se fait parallèlement à une réflexion sur les modèles économiques qui pourraient supporter ce développement. […]
L’ouverture [des] données, dès lors qu’elles échappent à une normalisation, leur codage éventuel, vont ouvrir ou restreindre la capacité de traitement offerts par ces objets à leurs fabricants, qui seront alors les seuls à pouvoir développer des services en aval de leur usage, ou à d’autres intervenants. Gageons que nous aurons là un nouveau champ important de la régulation de la concurrence, du fait des intégrations verticales biens-services que ces potentialités vont générer: en d’autres termes, faudra-t-il acheter la machine à laver labellisée par nos fournisseurs de vêtements ou faudra-t-il acheter les vêtements labellisés par notre fournisseur de machine à laver, ou le système vêtements-lavage sera-t-il ouvert ?
Considérations techniques
L’étude de la consommation des interfaces de communication classique des objets communicants montrent que contrairement aux idées reçues ceux-ci consomment plus lorsqu’ils écoutent que lorsqu’ils émettent. Cela tient au fait que l’oscillateur nécessaire à la modulation du signal est le principal consommateur d’énergie du circuit et que l’amplification, très consommatrice pour les téléphone par exemples (1000mW), est très faible dans le cas des protocoles basse consommation (< 1mw pour ZigBee). Pour les objets qui utilisent des technologies de transmission longue portée, il reste possible d’implanter des mécanismes de contrôle de puissance pour réduire l’énergie consommée par l’amplificateur, mais aussi de diminuer les perturbations subies par les autres objets et ainsi réduire la puissance nécessaire à leurs propres transmissions.
[…]Les objets communicants peuvent être la cible de nombreuses attaques qui visent à retrouver les clés secrètes qui identifient l’objet. Les attaques par « canaux cachés » parviennent à déduire les clés à partir de mesures physiques : rayonnement électromagnétique, consommation. Les secrets peuvent également être déduits de dysfonctionnement imposés à l’objet : injection de fautes, déni de service, ou simplement baisse de la tension d’alimentation. De façon à se prémunir de ces attaques, les objets doivent être protégés par des contre-mesures au niveau de l’implémentation des algorithmes. Un des défis est d’utiliser des contre-mesures disposant d’un haut niveau de résilience. La résilience est une propriété telle que l’attaque sur un objet attaqué ne remet pas en cause le fonctionnement des autres objets ni ne permet une exploitation par l’attaquant.
Quelques défis : flexibilité, ouverture des données, nouvelles monnaies…
Les objets communicants devront être suffisamment flexibles et reconfigurables pour adapter leurs caractéristiques (bande, fréquence, couverture, puissance, type de modulation, codage, etc.). Dans la pratique, l’architecture matérielle devra être capable de fonctionner simultanément sur plusieurs sous-bande, s’adapter facilement aux nouveaux standards, avoir une capacité de reconfiguration sophistiquée jusqu’au niveau analogique. Les fonctions embarquées devront permettre à l’objet de gérer l’utilisation de ses ressources, notamment capacité de calcul, consommation d’énergie et réduction de la pollution électromagnétique.
[…]Sur un plan socio-politique et réglementaire, les développements permis par l’Internet des Objets vont fournir de nouvelles illustrations des ambivalences et des dilemmes de l’économie numérique: capacité nouvelle à offrir des services aux collectivités, communautés et personnes, mais aussi capacité nouvelle à capter, stocker et archiver des données personnelles, et donc à surveiller (et réprimer éventuellement) des comportements individuels et collectifs. Les objets étaient « silencieux », ils deviennent « bavards », il faudra sans doute pouvoir exiger qu’ils restent silencieux et oublieux. Et sur le plan économique, leur capacité à capter de la valeur dans des systèmes fermés, ou au contraire, l’ouverture de systèmes aux possibilités innovantes importantes forment la contrepartie de leur « animation ». La jurisprudence sur les ressources essentielles devrait s’en trouver rajeunie.
[…]L’Internet des Objets sera vraisemblablement un système à feed-back: les usagers des données et des systèmes contribueront, par leurs usages, à l’amélioration de la valeur des données et des systèmes. L’utilisateur de Wikipedia, qui détecte une erreur dans un article et propose de la corriger, produit un tel feed-back. Le conducteur d’une voiture équipée d’un capteur de vitesse et d’une puce de géolocalisation, bénéficiera d’un système de guidage tenant compte des conditions de circulation, mais également alimentera un tel système en informations précieuses. La circulation et la mobilité d’une foule de capteurs disponibles sur des objets courants (véhicules, équipements personnels, vêtements…) pourront, indépendamment de l’usage propre de leurs détenteurs, fournir de nombreuses informations utiles à des systèmes dès lors qu’ils seront intégrables dans ces systèmes. Dans un tel processus, la valeur devient un solde entre la valeur consommée et la valeur fournie. L’usager pourra dès lors, si ce solde est pris en compte, payer un service, y accéder de façon gratuite, voire être rémunéré pour alimenter un service.
On peut dès lors entrevoir que de tels systèmes pourraient générer des unités de mesure qui leur soient propres, qui permettent d’apprécier les consommations et les contributions aux systèmes. Certaines de ces mesures devraient logiquement devenir des unités de compte, et donc, de facto, des monnaies virtuelles, de diffusion restreinte pour la plupart, mais des systèmes de systèmes pourraient donner naissance à quelques constellations monétaires. Là réside une autre interrogation vertigineuse de l’Internet des Objets.
À propos des cahiers de veille de la Fondation Télécom
Les cahiers de veille de la Fondation Télécom sont le résultat d’études menées conjointement par des enseignants-chercheurs de l’Institut Mines-Télécom et des experts industriels. Chaque cahier, qui traite d’un sujet spécifique, est confié à des chercheurs de l’Institut qui réunissent autour d’eux des experts reconnus. À la fois complet et concis, le cahier de veille propose un état de l’art technologique et une analyse tant du marché que des aspects économiques et juridiques, en mettant l’accent sur les points les plus cruciaux. Il se conclut sur des perspectives qui sont autant de pistes possibles de travail commun entre les partenaires de la Fondation Télécom et les équipes de l’Institut.